Un récent article en anglais, « Pensées philosophiques » (sur l’excellent blog « Of Axe and Plough », axé sur le polythéisme anglo-saxon et romain, mais aussi sur des réflexions philosophiques et humaines plus générales à propos du renouveau païen) a attiré mon attention. Ce qui suit n’est pas une traduction à proprement parler, mais plutôt un résumé commenté.
J’avais déjà écrit ici un article tentant de donner une vision panoramique des différentes approches possibles concernant les rites ancestraux dans les traditions religieuses païennes, du traditionalisme strict au « progressisme rituel », sous le titre de « Faut-il (vraiment) changer les rites ?« . Ces différentes approches se rapportaient à la manière dont on pratique les rites, mais ne nous disait rien de la manière dont ils peuvent être conceptualisés et vécus, c’est-à-dire de l’expérience intérieure des pratiquants et de la manière dont ces expériences sont intégrées dans un système de pensée.
Contrairement aux apparences, donc, on peut adopter un traditionalisme rituel très strict tout en étant ouvert à une évolution du sens des pratiques ancestrales qu’on reproduit fidèlement. Un exemple en est par exemple celui de brahmanes hindous traditionalistes qui accomplissent de manière presque inchangée des rites remontant à l’époque védique, donc vieux d’au moins 3000 ans, mais dont l’enseignement philosophique concernant la nature des dieux, le devenir de l’âme humaine après la mort, … est nettement plus récent et plus proche des courants intellectuels dominants de l’hindouïsme contemporain.
Si la question du sens des rites est un sujet particulièrement important (et parfois houleux) au sein des mouvements de renouveau païen européen, ce n’est pas un débat récent, ni réservé aux traditions religieuses dont la transmission a été interrompue par des conversions forcées. Dès le Ier siècle avant (!) l’ère chrétienne, des intellectuels romains se sont préoccupés de l’hésitation (voire de l’indifférence) qui régnait autour de l’origine et de la signification d’un certain nombre de rites religieux très anciens, censés pour certains avoir plus de 600 ans. Leur pratique avait continué, mais les raisons et le contexte de leur mise en place étaient devenus particulièrement flous, avec parfois des opinions tellement divergentes qu’il était clair que certaines d’entre elles étaient de pures devinettes, basées parfois sur des arguments aussi solides que des… jeux de mots.
Des mots en latin, juste parce qu’il faut une image pour que les gens cliquent, désolé (source : image libre de droits du iStock)
Varron (Marcus Terentius Varro, de -116 à -27 de l’ère chrétienne) était un romain de noble famille, qui fit carrière comme homme politique et comme écrivain. Il consacra toute une série de livres, les Antiquitates rerum humanarum et divinarum (« Lois et rites antiques »), à décrire les rites anciens et compiler les différentes théories à leur sujet. Bien qu’influencé par les idées philosophiques des philosophes stoïciens (originaires de Grèce), comme une bonne partie des nobles romains de son époque, Varron attachait beaucoup d’importance à essayer de retrouver, par une méthode qui s’approchait de celles des historiens modernes, le contexte d’établissement des rites, pour en trouver le sens originel.
Cicéron (Marcus Tullius Cicero, de -106 à -43 de l’ère chrétienne), son contemporain, venait des mêmes milieux et a suivi une carrière similaire. Il a laissé de nombreux ouvrages, mais deux en particulier traitent de rites et de théologie : son « Traité sur la divination » (De divinatione) et son « Traité sur la nature des Dieux » (De natura deorum). Dans ce dernier, il fait dialoguer des personnes représentant les différentes écoles philosophiques à la mode dans la haute société romaine de son temps : l’épicurisme (auquel Cicéron est opposé), le stoïcisme (pour lequel il a quelques sympathies, en particulier en matière d’éthique), et l’académisme sceptique (courant duquel il est le plus proche : c’était une évolution de la pensée de Platon qui intégrait beaucoup d’influences de l’école sceptique fondée par Pyrrhon ; l’idée générale était que rien n’est certain, mais qu’il est possible d’avoir des degrés de probabilité plus ou moins grandes sur la véracité d’une affirmation).
Pour Cicéron, la signification véritable des rites n’est pas à chercher dans une reconstruction de ce que les anciens pensaient à ce sujet, mais dans l’usage de la raison, au sein d’une vision du monde venue de l’étranger (ici, la Grèce, récemment conquise par les légions romaines). Il considère que cette recherche du sens profond des rites sacrés n’est pas dirigée vers le passé, mais vers l’avenir, qu’il s’agit d’un savoir à découvrir plutôt qu’à redécouvrir. De même, cette quête n’est pour lui plus limitée à la seule tradition nationale, celle des ancêtres dont on a hérité des rites, mais il estime qu’on peut faire appel à idées extérieures, pour peu qu’elles soient réellement d’une sagesse supérieure et pas seulement attrayantes pour leur côté exotique.
De son point de vue, si les dieux ont inspiré ces rites aux ancêtres des Romains, c’était pour une bonne raison, indispensable à la marche du monde : les Romains ont pour devoir sacré d’accomplir les rites romains, comme les Grecs ont pour devoir sacré d’accomplir les rites grecs. Simplement, le don divin de la raison, dont l’usage peut se perfectionner de génération en génération, est ce qui peut nous permettre, au fil des siècles, de réussir à avoir une meilleure compréhension du sens véritable de ces rites, un sens pleinement connu des dieux mais imparfaitement connu par les premiers humains à qui ils les ont inspirés.
La différence entre ces deux approches, celle de Varron et celle de Cicéron, est importante et saute aux yeux. Elle pourrait, de loin, ressembler aux débats existant actuellement au sein des mouvements de renouveaux païens européens, entre d’un côté les reconstructionnistes qui basent leur démarche sur une étude rigoureuse et méthodique des sources (archéologiques, textuelles, folkloriques, etc) et se concentrent généralement sur une seule tradition ; et de l’autre côté ceux qui font passer la rigueur historique au second plan, et procèdent volontiers de manière éclectique, en piochant ce qui les intéresse dans diverses traditions. Cependant, Varron et Cicéron sont tous les deux conservateurs en matière rituelle. Aucun des deux ne propose de modifier les cérémonies officielles du culte public, ni dans les modalités des sacrifices, ni dans les prières prononcées. Leur divergence porte uniquement sur le sens de ces actes rituels, c’est-à-dire sur le pourquoi et pas sur le comment, sur l’expérience intérieure mais pas sur la liturgie (qui fait, elle, consensus).
Si la démarche « antiquaire » de Varron, d’une manière surprenant pour un païen du Ier siècle avant l’ère chrétienne, est très similaire à ce qu’on trouve chez beaucoup de reconstructionnistes contemporains (encore que les opinions y soient plus variées qu’on pourrait le croire au premier abord), celle de Cicéron ouvre des horizons qui me semblent avoir été peu explorés. Il serait peut-être envisageable, tout en essayant de respecter au plus près ce qu’on peut reconstituer des anciennes cérémonies, de mobiliser des écoles philosophiques modernes et/ou étrangères (je pense en particulier à la très riche philosophie indienne, qui est apparentée et compatible avec nos religions européennes, mais on peut envisager de voir plus loin, par exemple dans les écoles chinoises du taoïsme et du confucianisme), pour ne pas seulement retrouver le sensantique des rites, mais pour trouver enfin leursensvéritable (ou en tout cas essayer de s’en approcher, en toute humilité). A tout le moins, l’idée vaut la peine d’être étudiée, et n’a rien d’une lubie moderne, pas plus que Cicéron n’était un hippie new-ageux.
Byron Pendason est un pratiquant de la version anglo-saxonne de la religion germano-scandinave, actif au sein de la communauté Fyrnsidu. Son blog personnel comporte de nombreuses réflexions intéressantes, tant sur la théorie que sur la pratique. Ce qui suit est une traduction d’un de ses articles, traitant des liens possibles entre la religion germano-scandinave et l’école stoïcienne de la philosophie grecque païenne. J’ai essayé de limiter mes notes [entres crochets], et ai ajouté à la suite de l’article un commentaire qui est la traduction de ma réponse sur le serveur Discord de la communauté Fyrnsidu, où j’interviens parfois à titre d’invité.
Salutations ! J’ai récemment commencé à étudier le stoïcisme ; mais, comme dit dans l’article précédent sur mon blog, le stoïcisme n’est pas une philosophie germanique. Il provient du monde hellénique, et a ensuite été adopté par les Romains. Dans cet article, je voudrais parler des relations qui peuvent exister entre le stoïcisme et la religion germano-scandinave. Quelle sont les ressemblances, les différences, et dans quelle mesure les deux sont-ils compatibles ?
Avant tout, je voudrais rappeler une nouvelle fois que le stoïcisme n’est PAS une philosophie germano-scandinave. Je suis dans une démarche dans laquelle je l’adopte comme philosophie personnelle, mais je ne suis pas en train d’en faire la promotion auprès des autres pratiquants de la religion germano-scandinave. Je ne fais que partager mes impressions à ce sujet, c’est-à-dire faire mon boulot de blogueur. Si le sujet ne vous intéresse pas, vous pouvez évidemment passer à autre chose.
La question principale est donc : est-ce que le stoïcisme est compatible avec une vision du monde germano-scandinave pré-chrétienne ? Il y a clairement des ressemblances entre les valeurs éthiques de ces deux cultures, comme l’a souligné Sveinbjorn Johnson dans son article Old Norse and Ancient Greek Ideals [on peut aussi mentionner Hesiod and Hávamál: Transitions and the Transmission of Wisdom (2014) de Lilah Grace Canevaro]. Les deux visions du monde insistaient sur l’importance d’être heureux, et considéraient que le bonheur ne pouvait être atteint que par une vie vertueuse. La sagesse de Oðinn dans le Havamal correspond en de nombreux points à l’enseignement pratique des anciens philosophes stoïciens. J’ai pu discuter avec plusieurs pratiquants contemporains de la religion germano-scandinave qui utilisent le stoïcisme comme code éthique personnel, et j’ai même rejoint leurs rangs dans la mesure où j’en vois clairement l’intérêt. Dans le monde méditerranéen antique, le stoïcisme fut pendant une période la plus populaire des écoles philosophiques. Le profil des élèves était assez divers, de l’esclave Epictète à l’empereur romain Marc Aurèle. C’était un système complet, qui ne se limitait pas à l’éthique, mais incluait aussi deux autres piliers, la logique et la « physique » (l’étude de la Nature et des Dieux, ce que nous nommerions aujourd’hui plutôt une cosmologie).
Le mouvement nommé « Stoïcisme Moderne » semble éviter de mettre l’accent sur la logique stoïcienne, et essaye généralement de laisser de côté la cosmologie stoïcienne antique, dans la mesure où elle est considérée comme dépassée. Au contraire, il me semble que très peu de choses dans la cosmologie stoïcienne antique serait en contradiction avec la vision du monde germano-scandinave pré-chrétienne, et qu’il n’y a rien qui ne pourrait pas être légèrement adapté pour être conforme à la fois aux principes fondamentaux du stoïcisme et de la religion germano-scandinave pré-chrétienne. Cela peut sembler exagéré, mais ne l’est à mon avis pas du tout.
Le principal obstacle que je vois est celui du concept de theos [généralement rendu par « Dieu » par les traducteurs français], c’est-à-dire d’une conception panthéiste du divin, où une conscience divine unique et éternelle est attribuée à l’Univers. La plupart des stoïciens croyaient également en l’existence de dieux semblables à ceux auxquels croyaient leurs concitoyens, mais ces dieux stoïciens étaient des êtres créés et impermanents, plus puissants et durables que les humains mais d’une puissance et d’une durée de vie limitée. Seul le theos, la conscience divine unique et éternelle de l’Univers, était permanent : tous les autres dieux devaient, un jour, être ré-absorbés dans le theos, comme le reste de l’Univers.
Bien qu’il soit possible d’adopter cette théologie au sein de la religion germano-scandinave contemporaine, ce n’est pas probablement une théologie qui va convaincre beaucoup de ses pratiquants. Personnellement, je ne crois pas en un dieu omniscient et omnipotent. Cependant, à y regarder de plus près, il me semble que le point fondamental dans cette doctrine stoïcienne du theos est tout autre : le « détail » qu’on ne peut pas modifier sans affecter le reste de la pensée stoïcienne, c’est que le monde a été ordonné de manière providentielle par une force supérieure à la nôtre. Si nous mettons, à la place d’une conscience unique, l’assemblée sacrée des dieux (le Thing divin), qui travaille collectivement dans un but commun, alors il me semble que cela ne porte aucunement atteinte à la cohérence de la philosophie stoïcienne, et ne contredit aucunement ce que nous savons de la vision du monde germano-scandinave pré-chrétienne.
Il est possible de mettre en avant le fait que la théologie stoïcienne s’est développée à partir de la religion grecque, et donc que les pratiquants de la religion germano-scandinave devraient laisser de côté cette théologie stoïcienne pour ne prendre en compte que la logique et l’éthique. Il y a de bons arguments en faveur d’une distinction entre philosophie et religion : la philosophie traite principalement de nos propres actions, de la manière dont nous nous conduisons nous-mêmes et dont nous traitons les autres ; la religion, au contraire, traite principalement de notre relation avec les dieux et les autres entités non-humaines. Les philosophes gréco-romains pré-chrétiens voyaient les deux comme indissociables (et le christianisme a continué à faire de même après la christianisation de l’empire romain), mais il n’y a pas de raison que ce soit une obligation. Un pratiquant de la religion germano-scandinave [parce qu’il s’agit d’une religion non-dogmatique], est parfaitement libre d’adopter la philosophie stoïcienne tout en pratiquant sa religion. Cette approche est également celle de nombreux stoïciens contemporains, et elle est donc tout aussi valide pour les pratiquants de la religion germano-scandinave. Ceci étant dit, je suis frappé par la révérence que les stoïciens antiques avaient pour le divin, et je propose donc une troisième voie, un chemin qui permettrait de conserver l’essentiel de la cosmologie stoïcienne tout en conservant une approche polythéiste, qui est la plus courante dans la religion germano-scandinave, tant à l’époque pré-chrétienne que contemporaine.
Finalement, à quoi ressemble le stoïcisme si sa théologie est altérée de cette manière ? Il enseigne que le but de la vie est le bonheur, l’eudaimônia (le terme a une signification un peu plus vaste dans le cadre de la philosophie gréco-romaine, mais les développements nécessaires feront l’objet d’un autre article). Les stoïciens définissent cela comme un état où on est libre de toute souffrance de l’esprit, et enseignent qu’on peut l’obtenir en vivant une vie vertueuse. Une grande part du chemin vers l’eudaimônia s’accomplit en pratiquant la vertu de la prudence, qui consiste à distinguer ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous. Le stoïcisme enseigne que nous devons diriger notre énergie et nos pensées vers ce qui dépend de nous, et ne pas nous inquiéter de ce qui ne dépend pas de nous. Aux côtés de la prudence, les autres vertus stoïciennes sont la justice, le courage, et la modération. Ce sont ces vertus qui, d’après les stoïciens (et la plupart des autres écoles philosophiques gréco-romaines), devraient guider notre vie.
Je ne vois donc pas en quoi le stoïcisme ne pourrait pas être adoptée comme philosophie personnelle par un pratiquant de la religion germano-scandinave. Je pense même que les deux se complètent assez bien. N’hésitez pas à laisser vos impressions en commentaire !
Soyez bénis !
Références :
Johnson, Sveinbjorn. “Old Norse and Ancient Greek Ideals.” Ethics 49, no. 1 (1938): 18–36. http://www.jstor.org/stable/2988773
The Sunday Stoic. “196: The Ways of the North. The Hávamál with Dr. Ben Waggoner”. Youtube. Sept 13, 2020. https://youtu.be/EIefLqoGqfI
Il existe, au sein du stoïcisme contemporain, un mouvement nommé « stoïcisme traditionnel », qui cherche à inverser la tendance du Stoïcisme Moderne à dissocier l’éthique stoïcienne du reste des enseignements stoïciens. J’ai été fasciné par mes explorations dans ce domaine, et me trouve en accord avec eux sur de nombreux points. A ceux qui seraient intéressés, je ne peux recommander assez vivement la visite de leur site de référence : https://traditionalstoicism.com/, particulièrement pour écouter les 15 premiers épisodes du podcast Stoicism on Fire, et pour lire l’article Providence or Atoms- a very brief defense of the Stoic worldview (2015).
[Note : sur un sujet déjà partiellement traité ici, celui de la doctrine stoïcienne des cercles de Hiéroclès, je conseille aussi la lecture de Insularity and the Other, On Being a Heathen “Citizen of the World” sur le très bon blog « Of Axe and Plough », également consacré à la version anglo-saxonne de la religion germano-scandinave, mais avec de nombreux articles relevant de considérations philosophiques et pratiques plus générales qui concernent toutes les religions ethniques européennes]
Ma réponse :Merci pour cet article qui résume assez bien ma position sur le sujet. Il me semble cependant que nous avons, dans la vision du monde germano-scandinave traditionnelle, quelque chose qui est déjà extrêmement proche du concept stoïcien de theos : quelque chose d’éternel et d’omnipotent, plus durable et puissant que les dieux eux-mêmes, quelque chose qui soit profondément intriqué avec la totalité de l’Univers… Cette chose, c’est le destin lui-même, l’örlög scandinave et les concepts apparentés chez les Germains continentaux. La question qui reste en suspens, ce serait éventuellement de savoir dans quelle mesure ce concept peut être considéré comme assez bénévolent pour être considéré comme relevant de la Providence stoïcienne. il me semble cependant que c’est un ajustement encore plus léger que d’assigner le rôle du theos stoïcien à l’assemblée sacrée des dieux.
« Lorsque j’étais un enfant, Un dieu souvent m’a sauvé Des cris et des sollicitations des humains. Je jouais, alors, sain et sauf, Avec les fleurs du bois, Et les brises du ciel Jouaient avec moi.
Et, de même que tu mets Le cœur des plantes en joie, Quand elles tendent vers toi Leurs bras délicats, Tu as mis mon cœur en joie, Ô Soleil, mon père ! Et tu étais Mon calendrier préféré, Ô Lune bénie.
Ô vous tous, Dieux Amicaux et fidèles ! Si vous pouviez savoir Comme mon âme vous a aimés !
Certes, je ne vous appelais pas En ce temps-là par des noms, et vous non plus Vous ne me nommiez pas comme les hommes se nomment (Comme s’ils se connaissaient !).
Mais je vous connaissais mieux pourtant Que j’ai jamais connu les hommes, Je comprenais le silence de l’éther : Je n’ai jamais compris la parole des hommes.
L’harmonie fut ma mère Dans les bois qui fredonnent, Et c’est parmi les fleurs Que j’appris à aimer.
C’est dans les bras des dieux que j’ai grandi. »
(Bien que Friedrich Hölderlin (1770-1843) ait vécu avant que les mythes scandinaves ne soient connus du grand public, et avant qu’il ne soit attesté que les mythes scandinaves et les mythes germaniques étaient similaires, son oeuvre poétique est marquée par des références aux mythes grecs (il appelle par leurs noms gréco-romains le Soleil, la Lune, et le calendrier luni-solaire des anciens païens européens). Il va même plus loin, en affirmant un lien intime avec des puissances divines, qu’il voit dans la Nature – la Nature extérieure comme la nature humaine. Comme d’autres poètes romantiques allemands, son oeuvre a directement inspiré la naissance des premiers mouvements néopaïens européens, et a donc contribué à la renaissance actuelle des religions ethniques européennes.)
Da ich ein Knabe war
Da ich ein Knabe war, rettet’ ein Gott mich oft vom Geschrei und der Rufe der Menschen, da spielt’ ich sicher und gut mit den Blumen des Hains, und die Lüftchen des Himmels spielten mit mir.
Und wie du das Herz der Planzen erfreust, wenn sie entgegen dir die zarten Arme strecken, so hast du mein Herz erfreut, Vater Helios! und, wie Endymion, war ich dein Liebling, heilige Luna!
O all ihr Treuen freundlichen Götter! Daß ihr wüßtet, wie euch meine Seele geliebt!
Zwar damals rief ich noch nicht Euch mit Nahmen, auch ihr Nanntet mich nie, wie die Menschen sich nennen Als kennten sie sich.
Doch kannt’ ich euch besser, Als ich je die Menschen gekannt Ich verstand die Stille des Aethers Der Menschen Worte verstand ich nie.
Mich erzog der Wohllaut des säuselnden Hains, und lieben lernt’ ich unter den Blumen.
Histiè, qui protèges la demeure sacrée de l’Archer Apollon, dans la divine Pythô, l’huile liquide coule toujours de tes tresses. Viens dans cette demeure, ayant un esprit propice, avec le prévoyant Zeus, et accorde la grâce à mon chant ! Histiè, qui, dans les hautes demeures de tous les Dieux immortels et des hommes qui marchent sur la terre, as reçu en partage un siège éternel, honneur antique ! Tu as cette belle récompense et cet honneur, car, à la vérité, il n’y aurait point sans toi de festins chez les mortels. C’est par Histiè que chacun commence et finit, en faisant des libations de vin mielleux. Histiè, déesse, sois propice à mon désir ! Je te chante et j’élève vers toi, comme un encensoir, un chant à ta gloire.
Ô Histiè, digne d’hommages, tu possèdes un beau palais, reçu en présent de Zeus, toi qui régis, dans les hautes demeures, les plaisirs et les festins ! Quand tous les dieux sont réunis, tu as le premier rang parmi eux, car tous t’estiment et te louent. Mais les hommes également te chérissent et te vénèrent, car tes dons sont les plus précieux : sans eux, nul banquet et nul sacrifice ne peuvent se tenir. Ainsi, tu es présente dans la demeure de chaque homme, peu importe qu’elle soit grande ou petite, et tu es toujours invoquée, toi, la déesse de chaque foyer de Grèce. Chacun, avant même de sacrifier à Zeus qui est le roi des Dieux, souhaite boire et manger en ton honneur, rassasié de bon vin. Ainsi, ô reine, c’est à toi qu’appartient la gloire la plus grande et la plus belle, puisque, parmi les dieux comme parmi les hommes, tu es toujours la bienvenue. Chantons donc maintenant en ton honneur, ô déesse, avec un chant digne de toi !
Histiè, déesse des hôtes, au sein du festin tu es la souveraine, celle que tous les dieux honorés, ainsi que les hommes, invoquent toujours. C’est toi qui présides aux banquets, car nul boit ni ne mange sans t’avoir invoquée. En effet, avec les autres dieux, tu apportes la joie aux hommes, et tu as, ô déesse, reçu un siège éternel au milieu des festins des dieux immortels, dans la demeure du Roi Zeus. C’est là que, assise à côté de l’Olympien, sur un siège d’or, tu prends du bon vin dans un gobelet brillant. Et quand, du haut de l’Olympe, tu regardes la terre, tu es ravie de voir les hommes, qui, sur tout le pourtour de la mer, honorent les dieux avec de beaux sacrifices. C’est à toi qu’ils offrent des boissons et des viandes, et tu te réjouis de voir tout cela. Ainsi, ô déesse, c’est à toi qu’il revient de présider aux banquets et aux libations, car c’est toi qui donnes la joie aux dieux et aux hommes !
Note : par ce court article a été écrit par Darya Platonova Dugina, dont le mémoire d’Histoire de la philosophie (soutenu à l’université de Moscou après un stage à l’université Montaigne de Bordeaux) était consacré au néoplatonisme tardif, courant philosophique qui a été le plus influent dans les milieux païens de la fin de l’empire romain. Il est publié ici pour les pistes qu’il offre en matière de réflexion philosophique païenne contemporaine, bien plus que pour l’actualité récente impliquant le décès de son autrice.
« Car l’État est l’homme en grand format et l’homme est l’État en petit format ».
F. Nietzsche
Friedrich Nietzsche, dans ses conférences sur la philosophie grecque, a qualifié Platon de révolutionnaire radical. Platon, dans l’interprétation de Nietzsche, est celui qui dépasse la notion grecque classique du citoyen idéal: le philosophe de Platon se place au-dessus de la religiosité, contemplant directement l’idée du Bien, contrairement aux deux autres catégories (guerriers et artisans).
Cela fait plutôt écho au modèle de théologie platonique du néo-platonicien Proclus, où les dieux occupent la position la plus basse dans la hiérarchie du monde. Rappelons que dans la systématisation de Festugière, la hiérarchie des mondes de Proclus comprend plusieurs niveaux d’émanations successives depuis le Bien, et que les dieux en contact avec nous font partie des niveaux les moins élevées dans la hiérarchie des Idées.
Plotin place les formes idéales au-dessus des dieux. Les dieux ne sont que des contemplateurs de formes absolument idéales.
« Amené sur son rivage par la vague de l’esprit, s’élevant vers le monde spirituel sur la crête de la vague, on commence immédiatement à voir, sans comprendre comment ; mais la vue, s’approchant de la lumière, ne permet pas de discerner dans la lumière un objet qui n’est pas lumière. Non, alors seule la lumière elle-même est visible. L’objet accessible à la vue et la lumière qui permet de le voir n’existent pas séparément, tout comme l’esprit et l’objet-pensée n’existent pas séparément. Mais il y a la lumière pure elle-même, dont découlent ensuite ces opposés ».
Le Dieu-Démiurge du Timée crée le monde selon les modèles du monde des idées, occupe une position intermédiaire entre le monde sensible et le monde intelligible – tout comme le philosophe, qui établit la justice dans l’État. Il s’agit d’un concept plutôt révolutionnaire pour la société grecque antique. Elle place une autre essence au-dessus des dieux, une pensée supra-religieuse et philosophique.
La République, dialogue de Platon, construit une philosophie psychologique et politique non classique. Les types d’âme sont comparés aux types de structure étatique, dont découlent différentes conceptions du bonheur. L’objectif de chaque personne, dirigeant et subordonné, est de construire un état juste et cohérent avec la hiérarchie ontologique du monde. C’est ce concept d’interprétation de la politique et de l’âme en tant que manifestation de l’axe ontologique que Proclus développe dans son commentaire des dialogues de Platon.
S’il est facile de parler de la philosophie politique de Platon, il est beaucoup plus difficile de parler de la philosophie politique de la tradition néo-platonicienne. Le néo-platonisme était généralement perçu comme une métaphysique visant à la déification de l’homme (« l’assimilation à une divinité »), considérée séparément de la sphère politique. Toutefois, cette vision de la philosophie néo-platonicienne est incomplète. Le processus d' »assimilation à la divinité » de Proclus, qui découle de la fonction métaphysique du philosophe chez Platon, implique également l’inclusion du politique. La déification se produit également à travers la sphère politique. Dans le livre VII du dialogue intitulé République, dans le mythe de la caverne, Platon décrit un philosophe qui s’échappe du monde des lances et s’élève dans le monde des idées, pour ensuite retourner à nouveau dans la caverne. Ainsi, le processus de « ressemblance avec une divinité » va dans les deux sens : le philosophe tourne son regard vers les idées, dépasse le monde de l’illusion et s’élève au niveau de la contemplation des idées et, donc, de l’idée du Bien. Toutefois, ce processus ne s’achève pas avec la contemplation de l’idée du Bien comme étape finale – le philosophe retourne à la caverne.
Quelle est cette descente du philosophe, qui a atteint le niveau de la contemplation des idées, dans le monde mensonger des ombres, des copies, du devenir ? N’est-ce pas un sacrifice du philosophe-réalisateur pour le peuple, pour son peuple ? Cette descente a-t-elle une apologie ontologique ?
Georgia Murutsu, spécialiste de l’État chez Platon, suggère que la descente a un double sens (un appel à la lecture du platonisme par Schleiermacher) :
1) l’interprétation exotérique explique la descente dans la grotte par le fait que c’est la loi qui oblige le philosophe, qui a touché le Bien par le pouvoir de la contemplation, à rendre la justice dans l’État, à éclairer les citoyens (le philosophe se sacrifie pour le peuple) ;
2) Le sens exotérique de la descente du philosophe dans le monde inférieur (dans le domaine du devenir) correspond à celui du démiurge, reflétant l’émanation de l’esprit du monde.
Cette dernière interprétation est très répandue dans la tradition néo-platonicienne. Le rôle du philosophe est de traduire ce qu’il contemple de manière éidétique dans la vie sociale, les structures de l’État, les règles de la vie sociale, les normes de l’éducation (paideia). Dans le Timée, la création du monde est expliquée par le fait que le Bien (transsubstantiant « sa bonté ») partage son contenu avec le monde. De même, le philosophe qui contemple l’idée du Bien, en tant que ce Bien lui-même, répand la bonté sur le monde et, dans cet acte d’émanation, crée l’ordre et la justice dans l’âme et dans l’État.
« L’ascension et la contemplation des choses supérieures est l’ascension de l’âme dans le domaine de l’intelligible. Si vous admettez cela, vous comprendrez ma chère pensée – si vous aspirez bientôt à la connaître – et Dieu sait qu’elle est vraie. Voici ce que je vois : dans ce qui est perceptible, l’idée de bien est la limite et est à peine perceptible, mais dès qu’elle y est perceptible, il s’ensuit qu’elle est la cause de tout ce qui est juste et beau. Dans le domaine du visible, elle donne naissance à la lumière et à sa règle, mais dans le domaine du concevable, elle est elle-même la règle dont dépendent la vérité et la raison, et c’est vers elle que doivent se tourner ceux qui veulent agir consciemment dans la vie privée et publique ».
Il convient de noter que le retour, la descente dans la grotte, n’est pas un processus unique, mais un processus qui se répète constamment (royaume). C’est l’émanation infinie du Bien dans l’autre, de l’un dans le multiple. Et cette manifestation du Bien est définie par la création de lois, l’éducation des citoyens. C’est pourquoi, dans le mythe de la grotte, il est très important de mettre l’accent sur le moment où le souverain descend au fond de la grotte – la « cathode ». La vision des ombres après la contemplation de l’idée du Bien sera différente de leur perception par les prisonniers, qui sont restés toute leur vie dans l’horizon inférieur de la caverne (au niveau de l’ignorance).
L’idée que c’est la déification et la mission kénotique particulière du philosophe dans l’État de Platon, dans son interprétation néo-platonicienne, qui constitue le paradigme de la philosophie politique de Proclus et d’autres néo-platoniciens ultérieurs, a été exprimée pour la première fois par Dominic O’Meara. Il reconnaît l’existence d’un « point de vue conventionnel » dans la littérature critique sur le platonisme, selon lequel « les néo-platoniciens n’ont pas de philosophie politique », mais exprime sa conviction que cette position est erronée. Au lieu d’opposer l’idéal de la théosis, la théurgie et la philosophie politique, comme le font souvent les universitaires, il suggère que la « théosis » doit être interprétée politiquement.
La clé de la philosophie implicite de la politique de Proclus est donc la « descente du philosophe », κάθοδος, sa descente, qui répète, d’une part, le geste démiurgique et, d’autre part, est le processus d’émanation de l’Élément, πρόοδος. Le philosophe descendant des hauteurs de la contemplation est la source des réformes juridiques, religieuses, historiques et politiques. Et ce qui lui donne une légitimité dans le domaine du Politique, c’est précisément la » ressemblance avec la divinité « , la contemplation, le « lever » et le « retour » (ὲπιστροφή) qu’il effectue dans la phase précédente. Le philosophe, dont l’âme est devenue divine, reçoit la source de l’idéal politique de sa propre source et est obligé de porter cette connaissance et sa lumière au reste de l’humanité.
Le philosophe-roi chez les néo-platoniciens n’est pas spécifique au sexe. Une femme philosophe peut également se trouver dans cette position. O’Meara considère les figures hellénistiques tardives d’Hypatie, d’Asclepigenia, de Sosipatra, de Marcellus ou d’Edesia comme des prototypes de ces souverains philosophes loués par les néo-platoniciens. Sosipatra, porteuse du charisme théurgique, en tant que chef de l’école de Pergame, apparaît comme une telle reine. Son enseignement est un prototype de l’ascension de ses disciples sur l’échelle des vertus vers l’Unique.
Hypatie d’Alexandrie, reine de l’astronomie, présente une image similaire dans son école d’Alexandrie. Hypatie est également connue pour avoir donné aux dirigeants de la ville des conseils sur la meilleure façon de gouverner. Cette condescendance dans la caverne des gens du haut de la contemplation est ce qui lui a coûté sa mort tragique. Mais Platon lui-même – voyant l’exemple de l’exécution de Socrate – prévoyait clairement la possibilité d’une telle issue pour un philosophe qui était descendu dans le Politique. Il est intéressant de noter que les platoniciens chrétiens y ont vu un prototype de l’exécution tragique du Christ lui-même.
Platon s’est préparé une descente similaire, en se lançant dans la création d’un État idéal pour le souverain de Syracuse, Dionysius, et en étant traîtreusement vendu comme esclave par le tyran adultère. L’image néo-platonicienne de la reine-philosophe, fondée sur l’égalité des femmes supposée dans la République de Platon, est une particularité dans l’idée générale du lien entre la théurgie et le domaine du Politique. Il est important pour nous que l’image de Platon de la montée/descente du philosophe de la caverne et de son retour à la caverne ait une interprétation étroitement parallèle dans le domaine du Politique et du Théurgique. Ce point est au cœur de la philosophie politique de Platon et ne pouvait être manqué et développé par les néo-platoniciens. Une autre question est que Proclus, se trouvant dans les conditions de la société chrétienne, n’a pas pu développer pleinement et ouvertement ce thème, ou alors ses traités purement politiques ne nous sont pas parvenus. L’exemple d’Hypatie montre que la mise en garde de Proclus n’était pas superflue. Cependant, en étant conscient que l’ascension/descension était initialement interprétée à la fois métaphysiquement, épistémologiquement et politiquement, nous pouvons considérer tout ce que Proclus a dit sur la théurgie dans une perspective politique. La déification de l’âme du contemplatif et du théurge fait de lui un véritable homme politique. La société peut l’accepter ou non. Ici, le destin de Socrate, les problèmes de Platon avec le tyran Dionysius, et la mort tragique du Christ, sur la croix duquel était écrit « INRI – Jésus le Nazaréen, roi des Juifs ». Il est le Roi qui est descendu du ciel et qui est monté au ciel pour les hommes. Dans le contexte du néo-platonisme païen de Proclus, cette idée d’un pouvoir politique véritablement légitime aurait dû être présente et construite sur exactement le même principe : seul celui qui est « descendu » a le droit de gouverner. Mais pour descendre, il faut d’abord monter. Par conséquent, la théurgie et le fait de « ressembler à une divinité », bien que n’étant pas des procédures politiques en soi, contiennent implicitement la politique et, de plus, la politique ne devient platoniquement légitime qu’à travers elles.
La « ressemblance avec une divinité » et la théurgie des néo-platoniciens contiennent en elles une dimension politique, qui s’incarne au maximum au moment de la « descente » du philosophe dans la caverne.
L’institut Arya Akasha (« éther indo-européen ») est une organisation internationale qui étudie depuis plusieurs années les différentes manières dont chaque tradition sacrée indo-européenne (qu’elle ait une transmission ininterrompue comme en Inde ou qu’elle soit à restaurer comme les traditions helléniques, romaines, celtiques, germano-scandinaves, baltes, slaves, …) peut bénéficier de l’étude d’autres traditions, et des manières dont une coopération réelle peut se mettre en place pour bénéficier à chacune de ces formes de piété traditionnelle. Ce communiqué, rédigé par le fondateur Curwen Ares Rolinson, a été publié aujourd’hui suite à la première offrande réalisée en grec ancien, à une divinité grecque, par un brahmane traditionnel du nord-ouest de l’Inde. Pour saluer cet événement majeur dans la renaissance des traditions sacrées européennes, en voici la traduction en français.
Au sein de l’institut Arya Akasha, nous ne nous contentons pas de parler de ressusciter la piété indo-européenne.
En plus de cela, nous ressuscitons la piété indo-européenne.
Cette photo provient d’une offrande rituelle à Poséidon qui est sur le point de commencer, réalisée par l’un de nos brahmanes, et conçue par lui, moi-même et l’un de nos experts helléniques.
J’ai dit « piété indo-européenne », parce que c’est vraiment ce que je pense. Pour que cela fonctionne, nous avons dû puiser à la fois dans les conceptions hindoues et dans ce qui nous est parvenu de la sphère hellénique.
Et, comme je l’ai dit, cette offrande a été menée par un brahmane, en l’honneur de Poséidon, Dieu hellénique que nous reconnaissons également au sein de la sphère hindoue, en utilisant un Trishula [lance à trois pointes du dieu hindou Shiva] – un Trident, pourrions-nous dire – comme composant direct de l’offrande.
Les offrandes d’armes dans les plans d’eau ou les tourbières sont également attestées dans la sphère germanique, ce qui explique l’hypothèse selon laquelle la rune-liée GEBO-ANSUZ sur le manche de la lance de Kragehul I pourrait signifier un « Don au Divin » de l’arme en question.
Pour diverses raisons, je ne discuterai pas en profondeur ni en détail de ce qui s’est réellement passé lors du rituel dont provient la photo. Il ne serait pas approprié de le faire au vu et au su de tous.
Cependant, nous pouvons confirmer que cette opération a représenté un « test d’armes » réussi, si vous voulez. A plus d’un titre.
Dans le sens où la formulation du rituel (et son invocation, en grec ancien, à Poséidon et Athéna !) a fonctionné – et aussi dans le sens où nous-mêmes, les « armes » pourrait-on dire, étions également « aptes au service ».
Cela a été « confirmé » par divers événements positifs et de bon augure, tant sur le « site de lancement » qu’avant et après l’exécution de l’offrande finale.
Cela s’est avéré être un grand « premier pas » à divers égards.
Donc – ayant eu une approbation divine évidente pour nos efforts continus en ce sens, nous avons estimé qu’il était approprié d’ajouter plus de profondeur et de complexité à nos opérations.
D’autant plus que, semble-t-il, nous avons été « guidés » par des chaînes de « circonstances » assez remarquables pour le faire comme nous l’avons fait.
Nous poursuivrons ces efforts au fur et à mesure qu’il sera approprié de le faire.
Des volontaires spécialement sélectionnés partent en mission –
Pour propitier les visages du Divin qui sont en résonance avec eux –
Dans des modes qui incorporent des éléments « reconstructifs », anciens et modernes, et surtout indo-européens, d’une Foi résolument active.
La piété indo-européenne, en dehors de la sphère plus directement hindoue – et en dehors des vitrines de musées, comme cela est souvent le cas, spécifiquement en Europe – revient.
Pas de façon désordonnée, ni accidentelle.
Mais de manière précise, délibérée et bien conçue.
Avec une force retentissante qui provient de multiples directions.
La vertu, pour un païen européen, c’est le fait de tendre en permanence vers l’excellence dans l’accomplissement de ses devoirs moraux. Le but de cet article n’est pas de discuter de la vertu en tant que telle, c’est-à-dire des différents devoirs moraux qui s’appliquent à chacun : d’une part ils varient selon les personnes, d’autre part les avis à ce sujet sont parfois variés. L’idée ici est plutôt d’observer une dérive de l’idée de vertu et de son application, dans un contexte de mondialisation marchande qui s’accompagne d’une monétisation effrénée de l’image des personnes et des marques.
Les traditions païennes européennes insistent sur l’importance des valeurs de solidarité, de générosité, d’hospitalité, valeurs qui sont aujourd’hui particulièrement revendiquées par des groupements politiques dits « de gauche » ; mais nos traditions insistent également tout autant sur l’importance de l’indispensable réciprocité (rendre cadeau pour cadeau mais coup pour coup), de la parenté, de la territorialité, qui sont aujourd’hui essentiellement revendiquées par des groupements politiques dits « de droite ». L’adhésion à certaines idéologies modernes tend donc à occulter tout un pan de notre héritage éthique – l’un ou l’autre selon les cas.
Les textes légaux et éthiques que nous avons conservé sur les mondes celtiques et germano-scandinaves, en particulier le Hávamál (long poème qui contient les conseils de comportement donnés par le dieu Odin), rejoignent en grande partie le discours de nombreux philosophes gréco-romains, en particulier les Stoïciens. L’un d’entre eux, Hiéroclès, nous a laissé un fragment de papyrus qui contient ses Éléments d’éthique. Il y expose un concept désormais connu sous le nom de « cercles de Hiéroclès« , qui explique que notre place dans l’Univers est un point au centre de notre premier cercle, celui de notre foyer familial. Ce premier cercle est englobé par un autre cercle plus vaste, celui de notre famille élargie : grands-parents, oncles et tantes, frères et soeurs dont nous ne partageons pas le toit, cousins, neveux et nièces, etc. Ce cercle familial élargi est compris dans plusieurs autres cercles concentriques qui sont ceux des diverses communautés auxquelles nous appartenons, et dont nous sommes plus ou moins proches et solidaires : amis, voisins, collègues, membres de la même commune, région, nation, civilisation, etc. Les deux derniers cercles, les plus larges, sont ceux de l’humanité en général, puis celui des dieux et de la Nature.
Ces cercles de Hiéroclès présentent une vision similaire aux conceptions germano-scandinaves, qu’on résume souvent dans les milieux néopaïens par les termes de innangarð (« intérieur », tout ce qui est dans un cercle plus proche de nous) et utangarð (« extérieur », tout ce qui est dans un cercle plus lointain, par exemple un pays étranger par rapport au nôtre, un autre village par rapport au nôtre, la famille voisine par rapport à la nôtre, etc), bien qu’ils n’aient pas tout à fait cet usage historique.
Les néopaïens germano-scandinaves sont parfois plus orientés vers les cercles les plus proches et l’exclusion des cercles les plus lointains. A l’inverse, la doctrine de Hiérioclès, connue sous le nom de cosmopolitismestoïcien (« kosmopolitês » signifie « citoyen du monde » en grec), est parfois interprétée dans le sens d’un soutien à une forme de gouvernement mondial et/ou d’une volonté de dissolution des communautés nationales. En réalité, les deux traditions se rejoignent lorsqu’elles sont bien comprises. Hiéroclès lui-même a écrit que ce serait « de la folie de vouloir nous lier à ceux qui ne portent aucune affection envers nous, tout en négligeant ceux qui nous sont proches et ceux dont la Nature nous a pourvus ».
Le « citoyen du monde » moderne est incité à déporter toute son attention sur les cercles le plus extérieurs (tout en retirant évidemment « les Dieux » du cercle « les Dieux et la Nature »), au nom de l’antispécisme (traiter les autres espèces animales comme s’il s’agissait d’êtres humains) et de l’antiracisme (traiter les membres d’autres ethnies comme si ils étaient des membres de notre ethnie). Parallèlement, il y a un désintérêt grandissant pour les premiers cercles intermédiaires, ceux qui relient justement le point du « moi » au grand cercle cosmique des Dieux et de la Nature : foyer, famille élargie, communautés, présentés comme des entraves à la liberté individuelle. Ce cosmopolitisme mal compris nourrit la plupart du temps un égocentrisme caché, celui de la valorisation personnelle, en affichant publiquement une vertu factice qui ne coûte rien, puisqu’elle s’accompagne rarement d’actes concrets en-dehors des réseaux (a)sociaux.
Nos traditions ancestrales visent à nous rapprocher du plus grand cercle, celui des Dieux et de la Nature. Elles nous définissent aussi comme des « compatriotes du cosmos » (autre traduction possible de kosmopolitês, tout aussi exacte que « citoyens du monde »), car nous avons notre rôle à jouer dans l’ordre sacré mis en place par les Dieux : c’est même tout le sens de nos rites. La méthode utilisée est cependant tout à fait inverse, car elle est de se concentrer d’abord sur les cercles les plus proches. Il s’agit en quelque sorte d’un Grand Recentrement, d’une relocalisation païenne de la vertu. Tous nos efforts sont d’abord censés tendre vers le fait de traiter les membres de notre foyer comme nous nous traiterions nous-mêmes. Ensuite, et seulement ensuite, quand nous y sommes parvenus, traiter les membres de notre famille éloignée comme nous traitions les membres de notre foyer, puis comme nous-mêmes. L’étape suivante est de procéder ainsi avec le cercle d’après, par exemple celui des amis : les traiter comme s’ils étaient des membres de la famille élargie, puis des membres de notre propre foyer, puis comme nous-mêmes. Traiter les étrangers comme des membres de notre communauté nationale, ou des animaux d’autres espèces comme s’ils étaient humains, n’est donc cohérent qu’après un très long travail, autant dans l’exploration sans concession de notre psychologie intime que dans l’immense tâche sans cesse recommencée qui consiste à retisser des liens sociaux solides et réciproques.
Les défis de notre époque, dont font partie l’effondrement écologique et la disparition des cultures autochtones, sont mondiaux et demanderont probablement une coopération mondiale pour y faire face. Mais cette coopération ne peut avoir lieu sans d’abord rebâtir la structure interne de nos communautés, y compris et surtout en Europe.
(P.S. : Il va sans dire que l’auteur de ces lignes n’a aucunement l’intention de s’ériger en modèle de vertu ; ce sera déjà une grande chose s’il peut être un modèle en matière de recherche de la vertu)
Chante pour moi, Muse amicale, Et fais débuter mon chant, Envoie moi un souffle depuis tes clairières Pour agiter mon esprit.
Sage Calliope, Meneuse des réjouissantes Muses Et habile initiatrice aux Mystères ! Enfant de Letô, Dêlien, Péan ! Favorisez-moi par votre présence !
(Hymne de Mésomède, à la muse Calliope et à Apollon)
Thanasis Kleopas chante, en grec ancien, un hymne païen du poète Mésomède de Crète (IIe siècle de l’ère chrétienne) pour Calliope (muse de la poésie épique) et pour Apollon Péan (maître des chants rituels), seigneur de l’île sacrée de Dêlos.
Autres interprétations : arrangement acoustique de Stef Conner, puis version dub / ambient.
Les Grecs accomplirent la riche hécatombe [sacrifice de cent boeufs] dans l’ordre consacré, autour de l’autel bâti selon le rite. Et ils se lavèrent les mains, et ils préparèrent les orges salées [les grains d’orge salés servent à consacrer l’autel et les victimes selon le rite grec] et Chrysès, à haute voix, les bras levés, priait pour eux :
« Entends-moi, Porteur de l’arc d’argent, qui protèges Chrysès et la divine Killa, et commandes fortement sur Ténédos. Déjà tu as exaucé ma prière ; tu m’as honoré et tu as couvert d’affliction les peuples des Grecs. Maintenant écoute mon vœu, et détourne loin d’eux la contagion ! »
Sacrifice grec sur un vase rouge, Ve siècle av. J.-C.
Il parla ainsi en priant, et Phoibos Apollôn l’exauça. Et, après avoir prié et répandu les orges salées, renversant en arrière le cou des victimes, ils les égorgèrent et les écorchèrent. On coupa les cuisses, on les couvrit de graisse des deux côtés, et on posa sur elles les entrailles crues.
Et le vieillard les brûlait sur du bois sec et les arrosait d’une libation de vin rouge. Les jeunes hommes, auprès de lui, tenaient en mains des broches à cinq pointes. Et, les cuisses étant consumées, ils goûtèrent les entrailles ; et, séparant le reste en plusieurs morceaux, ils les transpercèrent de leurs broches et les firent cuire avec soin, et le tout fut retiré du feu. Après avoir achevé ce travail, ils préparèrent le repas ; et tous furent conviés, et nul ne se plaignit, dans son âme, de l’inégalité des parts.
Ayant assouvi la faim et la soif, les jeunes hommes couronnèrent de vin les cratères [grands vases servant à mélanger le vin pur et l’eau, à la mode grecque] et les répartirent entre tous à pleines coupes. Et, durant tout le jour, les jeunes Grecs apaisèrent le dieu par leurs hymnes, chantant le joyeux péan [chant sacré] et célébrant l’Archer Apollôn, qui se réjouissait dans son cœur de les entendre.
Quand Hélios[le dieu Soleil] tomba et que les ombres furent venues, ils se couchèrent auprès des câbles, à la proue de leur navire ; et quand Êôs [la déesse de l’Aurore] aux doigts de rose, née au matin, apparut, ils s’en retournèrent vers la vaste armée des Grecs, et l’Archer Apollôn leur envoya un vent propice.
(Ceci est une traduction d’un article paru sur Hellenic Faith, un site internet anglophone consacré à la religion grecque contemporaine dans sa forme basée sur le néoplatonisme de Julien le Philosophe. Le raisonnement et ses conclusions pratiques sont cependant applicables à toutes les religions ethniques européennes : germano-scandinave, celtique, etc).
Le sacrifice d’animaux est souvent considéré comme l’une des pratiques essentielles de l’ancienne religion grecque. Souvent, cette pratique se voit attribuer un rôle central dans la religion, car elle est, au moins en théorie, le premier rituel de la religion grecque antique. Et si l’acte de sacrifice avait encore plus d’importance pour les Grecs ? Walter Burkert nous dit que « la structure fondamentale [du sacrifice animal] est identique et claire : le sacrifice animal est un abattage ritualisé suivi d’un repas de viande » (Burkert 2006, 57). On comprend que l’acte de sacrifice a joué un rôle important dans les habitudes alimentaires helléniques, mais quel était-il exactement ? Dans cet essai, je soutiendrai que le sacrifice jouait un rôle essentiel dans la consommation de viande dans le monde grec antique, la viande étant censée être sacralisée par l’accomplissement du sacrifice avant de devenir consommable. Je vais argumenter en faveur de cela en donnant un aperçu de ce que signifiait le sacrifice d’animaux, en abordant la forme qu’on pense généralement qu’il a pris, et à partir de là, je pourrai répondre aux objections en élargissant la compréhension de ce que le « sacrifice animal » pouvait signifier dans le monde antique. À partir de là, je conclurai ce que ces pratiques alimentaires devraient signifier pour les païens grecs d’aujourd’hui, et comment ces coutumes alimentaires devraient orienter les aspirations de la communauté païenne grecque contemporaine qui se développe aujourd’hui.
Le sacrifice est la source de la viande
Le monde grec était un monde où, dans la plupart des circonstances normales, la viande était impropre à la consommation – à moins que ce ne soit dans les limites d’un contexte sacrificiel. C’est le sujet du livre de Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant La cuisine du sacrifice en pays grec. Ils nous disent que la présence du divin sanctifie la consommation de viande, mais seulement dans la mesure où l’on offre aux Dieux des sacrifices, où l’on offre l’animal au Divin (Detienne & Vernant 1989 : 25). Fondamentalement, le sacrifice est un don aux Dieux, et s’inscrit dans une relation réciproque entre les dieux et les mortels basée sur l’échange de dons (Parker 2011, 137). Le cadeau est celui d’un animal tué pour être mangé (Parker 2011, 136). C’est un acte par lequel quelque chose est mis en possession d’un Dieu, et ainsi sacralisé. Même Robert Parker, un spécialiste de la religion grecque qui est très sceptique à l’idée de l’existence d’une forme de « casher grec », admet qu’il existe des références à la consommation de choses non sacrifiées comme étant un type de comportement sacrilège et barbare, qui est un affront aux Dieux, dans diverses inscriptions et poèmes (Parker 2011, 131-132).
Cette pratique était si importante qu’elle en vint à dominer les préoccupations culinaires des premiers chrétiens, qui considéraient la consommation de viande acquise par cette « boucherie religieuse païenne » comme potentiellement dangereuse sur le plan spirituel, car la viande sacrificielle était fréquemment vendue sur le marché. Ce sujet était si préoccupant pour les anciens chrétiens qu’il est même abordé dans la Bible, dans les écrits de l’apôtre chrétien Paul. Ecrivant à destination des habitants de la cité grecque de Corinthe, Paul écrit « au sujet de la nourriture offerte aux idoles… » (1 Corinthiens 8 :1) et informe les premiers chrétiens du premier siècle qu’ils devraient « manger tout ce qui est vendu sur le marché de la viande sans soulever aucune question sur le terrain de la conscience… Mais si quelqu’un vous dit : « Ceci a été offert en sacrifice », alors ne le mangez pas, à cause de celui qui vous a informé, et pour l’amour de la conscience » (1 Corinthiens 10 :25). Les préoccupations des premiers chrétiens concernant les habitudes alimentaires de leurs voisins nous donnent un aperçu des pratiques alimentaires du monde dans lequel ils vivaient – un monde où la boucherie religieuse faisait partie intégrante de l’ancienne pratique du culte hellénique.
C’est un sacrifice, non ?
Pour développer un argumentaire sur les lois alimentaires religieuses concernant la consommation de viande, nous devons d’abord essayer de comprendre comment est-ce qu’on obtenait de la viande, ce qui signifie apprendre ce qu’était le sacrifice d’animaux dans le monde grec antique, et donner un sens à ce qu’il impliquait. Les spécificités du sacrifice d’un animal variaient considérablement, étant donné que l’ancienne religion hellénique n’avait pas de forme centralisée et était donc locale. Les rites et les pratiques variaient considérablement à travers le monde grec. Cependant, il existait au certain nombre de points communs à toutes ces pratiques :
Le sacrifice a lieu sur un autel, et un animal approprié pour le sacrifice est sélectionné (Petropoulou 2012, 41). Le meilleur est le bœuf, en particulier un taureau (Burkert 2006, 55), mais on sacrifice aussi les moutons, les chèvres, les porcs et la volaille (Burkert 2006, 55).
La victime est ornée d’une guirlande puis escortée en procession jusqu’à l’autel (Petropoulou 2012, 41).
Le prêtre qui supervise le sacrifice lève les mains vers le ciel en position de prière, des prières sont prononcées et des rites de purification (lustration) sont accomplis (Petropoulou 2012, 41).
La mise à mort est accomplie. Si l’animal est grand, il reçoit un coup à la tête avec une hache, pour assommer l’animal, puis l’artère du cou est coupée avec un couteau sacrificiel (Burkert 2006, 56). Si l’animal est petit, il est élevé au-dessus de l’autel et sa tête est tranchée (Burkert 2006, 55). Le sang du sacrifice est recueilli dans un bassine, puis versé sur et autour de l’autel, signe d’une grande piété qui permet de savoir que l’autel est activement utilisé (Burkert 2006, 55).
La victime est écorchée et découpée (Petropoulou 2012, 41) (Burkert 2006, 56). Ses entrailles peuvent être examinées (Petropoulou 2012, 41), et les splanches, organes tels que le cœur et le foie, sont rôtis au feu de l’autel et mangés par les sacrificateurs, tandis que les os et les graisses non comestibles sont brûlés sur le bûcher (Burkert 2006, 56 -57).
Cet acte s’appelle une thysia, et désigne l’effusion de sang sacrificiel sur l’autel et la combustion des os (Detienne & Vernant 1989, 25). Après cela, l’étape suivante est le banquet, une caractéristique fondamentale des sacrifices, même les plus formels. Alors que les dieux recevaient les os et la graisse non comestible, la viande comestible était buillie ou rôtie, pour être mangée par les participants mortels du sacrifice (Burkert 2006, 57). Cela permettait la communion entre le Divin et l’Humain, où les Dieux sont joints aux mortels dans un acte qui les rapproche. Comme l’écrit Fred S. Naiden, « s’il y avait communication par le sacrifice, et donc discours ou pratique, il y avait aussi une communion, une expérience intérieure » (Naiden 2015, 316). Detienne et Vernant tentent de décrire cela en se référant aux récits hésiodiques de l’origine du sacrifice, lorsque les Dieux et les Hommes ont été à la fois nettemnt divisés et hiérarchisés par le premier sacrifice, mais aussi liés et rapprochés. Ils écrivent qu’« en mangeant les morceaux comestibles, les hommes, tout en revigorant leurs forces défaillantes, reconnaissent l’infériorité de leur condition mortelle et confirment leur subordination aux Olympiens » (Detienne & Vernant 1989 : 25). Lors du banquet sacrificiel, il était interdit de retirer de la viande du lieu sacré (Burkert 2006, 57). Cependant, si le festin rituel se terminait et qu’il restait une abondance de viande sacrificielle, on sait qu’elle était ensuite vendue sur le marché, probablement pour éviter le gaspillage (Parker 2011, 158).
Le sacrifice : plus qu’un autel ensanglanté
Cependant, étant donné que le sacrifice d’animaux était censé être la principale source de nourriture pour les Grecs de l’Antiquité, le format rituel de la thysia civique, bien décrit dans les textes, était-il la seule manière de sacrifier des animaux ? La question même est invoquée par Naiden, qui s’oppose à l’idée que les sacrifices d’animaux dans leur ensemble étaient le seul moyen par lequel les Grecs obtenaient leur viande, écrivant que l’affirmation selon laquelle «tout le bœuf, le mouton et le porc provenaient d’animaux sacrificiels. . . [est] une vue qui va trop loin », car selon lui ces sacrifices formels à l’autel ne pouvaient pas nourrir des corps de citoyens comprenant des dizaines de milliers voire des centaines de milliers de personnes (Naiden 2015, 34). Cependant, comme le souligne JCB Lowe, la plupart de la viande du monde antique provenait probablement de sacrifices, car la viande était consommée de manière très économe (Lowe 1985, 73). Après tout, le bétail était autant une monnaie dans le monde antique qu’un stockage de la richesse, et consommer régulièrement de la viande aurait été une lourde dépense, inatteignable pour la plupart des gens. Comme l’écrit Parker, « il y a donc dans le meurtre sacrificiel un élément qui consiste à abandonner une richesse » (Parker 2011, 137). Mais plus important encore, cela remet en question s’il peut y avoir eu une plus grande diversité de compréhension de ce qui comptait comme un sacrifice dans le monde grec antique. Dans une certaine mesure, je suis d’accord avec l’évaluation de Naiden selon laquelle le modèle de sacrifice hautement idéalisé, où le sang est versé à l’autel, n’était pas capable de nourrir chaque personne dans une ville. Dans une religion décentralisée, il va de soi que le sacrifice peut prendre de nombreuses formes et tailles, et il est probable que le modèle idéal de sacrifice que détaillé ci-dessus n’était pas le seul modèle de sacrifice dans l’esprit des Grecs. C’est probablement ce à quoi fait allusion la lex sacra, une inscription mise en place par un culte orphique, qui incite les acolytes à s’abstenir des paradoxaux « sacrifices sans sacrifice » (Hellholm & Sänger 2018, 1770), c’est-à-dire de viande sacrifiée autrement que lors des grands rites.
Mosaïque de chasse au cerf de Pella, Grèce
Lowe et Parker affirment tous deux que certains animaux étaient mangés sans être sacrifiés, parce que des animaux étaient tués à la chasse plutôt que lors d’un rituel formel à l’autel. Parker met particulièrement l’accent sur ce fait dans sa lutte contre l’idée que toute la viande doit provenir du sacrifice avant la consommation, jugeant l’affirmation « extrême » et affirmant qu’elle peut être réfutée en soulignant comment « les Grecs mangeaient du gibier tué sans aucune procédure spéciale » (Parker 2011, 131). Mais les arguments de Parker sont relativement faibles, car il part de l’hypothèse de base selon laquelle le rituel hautement cérémoniel d’épandage du sang autour de l’autel était le seul paradigme de sacrifice dans le monde grec antique. Lowe et Parker oublient à quel point il était important pour les chasseurs de faire des vœux aux dieux avant leurs chasses, et les dieux sont souvent décrits comme jouant un rôle important dans la préparation d’une chasse, comme le Xénophon dans sa Cynégétique :
Que le chasseur aille au terrain de chasse en simple habit léger et chaussures, tenant un bâton à la main, et que le garde-filet le suive. Qu’ils gardent le silence en s’approchant du terrain, afin que, au cas où le lièvre serait proche, il ne puisse pas s’éloigner en entendant des voix. […] Après avoir fait un vœu à Apollon et Artémis la chasseresse [gr. Agrotera] pour leur donner une part du butin, qu’il lâche un chien, le plus habile à suivre une piste, au lever du soleil en hiver, avant l’aube en été, et quelque temps entre les autres saisons.
Xénophon, Cynégétique. 6.11-14
En bref, ce que l’on voit ici, c’est que les Dieux font toujours partie intégrante du métier du chasseur, et que la mise à mort du gibier par le chasseur est légitimée par le sacrifice d’autres animaux. Ces récits se poursuivent des siècles après Xénophon et peuvent être trouvés dans les travaux d’Arrianos de Nicomédie (parfois appelés le « jeune » ou le « deuxième » Xénophon). Dans son propre Cynegeticus intitulé de la même manière, Arrianos nous parle du rôle critique que les Dieux sont censés jouer dans la chasse : même le plus habile des chasseurs, s’il ne fait pas vœu aux Dieux, peut souffrir de ne pas pouvoir trouver de gibier :
Teucer, dit-il [Homère], le meilleur archer des Grecs, dans le concours d’archerie, ne frappa que la corde et la coupa en deux, parce qu’il n’avait fait aucun vœu à Apollon ; mais ce Merion, qui n’était pas du tout un archer, en invoquant Apollon, frappa l’oiseau.
Arrianos, Cynégétique. 32-36
Non seulement les Dieux sont invoqués par les chasseurs, recevant une part du gibier et des sacrifices en échange du gibier, mais nous voyons dans le récit d’Arrianos que ne pas offrir de vœux aux Dieux en partant chasser était synonyme de ne pas trouver de gibier du tout. Alors en quoi la chasse n’est-elle pas une forme potentielle de sacrifice dans le paradigme grec ? Nous pourrions étendre cela à la viande d’animaux domestiques qui n’ont pas subi une procession sacrificielle typique. Par exemple, au début de son livre Smoke Signals for the Gods: Ancient Greek Sacrifice from the Archaic through Roman Periods, Naiden s’oppose au fait que toute la viande provenait de sacrifices en affirmant que le porc servi dans les repas collectifs spartiates ne provenait pas d’animaux sacrifiés (Naiden 2015, 34), mais admet plus tard que « les repas spartiates n’étaient pas laïques. Lorsque le boucher [mageiros] tuait ses porcs, il disait peut-être une prière sur eux » (Naiden 2015, 257). Mais en réprimandant Detienne et Vernant, Naiden lui-même écrit qu’ils « supposent que le sacrifice est un rituel, mais l’adorateur le concevait comme un épisode d’une relation avec un dieu » (Naiden 2015, 320). Alors pourquoi les bouchers ne seraient-ils pas placés en relation avec un Dieu quand ils prient avant de tuer un animal ? Naiden n’aborde en aucun cas cette incohérence, à part en affirmant que ces mises à mort n’ont pas eu lieu sur un autel, et que c’est ainsi que ses adversaires Detienne et Vernant définissent le sacrifice animal. Mais alors pourquoi devrions-nous supposer que, juste parce qu’un animal n’a pas été abattu sur un autel, il n’a pas été sacrifié ? La boucherie antique est une institution où le boucher était compétent en matières religieuses, comme les prêtres ou les chasseurs, s’il invoquait les dieux en les priant au moment de la mise à mort. En fait, la description de Lowe du fonctionnement des bouchers brosse un tableau plus détaillé, auquel Naiden aurait du mal à s’opposer, les bouchers détenant une combinaison de fonctions culinaires et rituelles, leur rôle étant celui d’un sacrificateur professionnel, compétent à la fois en boucherie, en cuisine et en abattage rituel (Lowe 1985, 73). Ainsi, on peut comprendre que la consommation de viande avait une signification religieuse pour les anciens Grecs (Lowe 1985,72).
Conclusion
En conclusion, il est juste de conclure que dans la religion grecque, il faut idéalement acquérir toute viande par une sorte de boucherie religieuse. Le sacrifice était la façon dont les anciens obtenaient et consommaient la viande. Cependant, il est important de garder à l’esprit ce que signifie le sacrifice. Tous les arguments avancés par Naiden et Parker, qui s’opposent au sacrifice animal comme mode fondamental d’acquisition de la viande par les Grecs, sont formulés comme des réponses directes aux travaux de Detienne et Vernant. Cependant, plutôt que de contester l’affirmation de Detienne et Vernant selon laquelle le sacrifice d’animaux dans le monde grec antique était uniquement synonyme de thysia (qu’ils définissent comme l’abattage d’un animal sur un autel et la combustion de ses os), Naiden et Parker ont affirmé que, puisque toute la viande ne provenait pas d’une thysia, alors toute la viande ne provenait pas d’un sacrifice. Les preuves montrent, cependant, que le fait d’obtenir de la viande à partir d’un animal était toujours associé au don de la vie de l’animal aux Dieux, d’une manière ou d’une autre… Ce qui est une caractéristique fondamentale de la notion de sacrifice (Parker 2011, 136).
Compte tenu de ces informations, ceux qui pratiquent la religion grecque aujourd’hui devraient se préoccuper de la provenance de leur viande. Il est important de se méfier des miasmes rituels provenant de la viande non-sacrifiée, en particulier dans la viande qui vient de l’industrie agro-alimentaire. De plus, il est essentiel que les communautés qui en ont les moyens s’efforcent d’ouvrir des boucheries religieuses pour permettre la pratique des traditions rituelles grecques concernant l’alimentation.
Bibliographie
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