1er président de l’association Les Enfants d’Yggdrasill, il a rejoint les ancêtres le 8 mars 2023. Pionnier de la religion germano-scandinave en France, il a aussi été le premier dans l’Ásatrú francophone à apprendre le vieux norrois pour étudier les Eddas et les sagas.
Ses traduction commentées de deux textes mythiques majeurs, le Hávamál et la Völuspá, ont servi à de nombreux païens. Il insistait aussi sur l’importance de la poésie et de la danse lors des cérémonies qu’il organisait, pour s’approcher de l’expérience d’un blót antique.
Ex-directeur de recherche au CNRS et auteur de plusieurs livres sur les runes, il a largement contribué au développement de notre religion en France. L’association Les Enfants d’Yggdrasill lui doit en partie son orientation apolitique et reconstructionniste, profondément enracinée dans l’étude des anciennes coutumes.
Voici un court poème composé en son honneur :
Norna dóms of notit hafði Skylði fara fægir blóta, Epli Heljar til eta í náfirði. Vallands herr hörga nýrra Skal drekka um skeið minni Þess hét garmr galdrs fǫðurs. Fjölkunnigr var Freyju ástvinr, Spjöll opt hljóðaði heilagra goða!
Quand il vint au bout de la sentence des Nornes, Il dût partir, le cultivateur des sacrifices, Pour manger les pommes de Hel dans le ravin du cadavre. La foule des nouveaux autels de France Boira pendant longtemps en la mémoire De celui qui se nommait « Molosse du Père des Incantations ». Il était versé dans l’art magique, le bien-aimé de Freyja, Souvent il chantait les histoires des dieux bénis !
* La « sentence des Nornes » est le temps de vie alloué à chaque être humain. * Le « cultivateur des sacrifices » est une formule poétique pour désigner un païen, de même que le « molosse d’Odin ( = Père des Incantions) » désigne le chien. Son pseudonyme sur internet était hund-heiðinn, « chien de païen », un terme utilisé comme insulte par les chrétiens. * « Manger les pommes de Hel » = mourir, et « le ravin du cadavre » = la tombe. * « La foule des autels » est aussi une formule qui désigne ceux qui continuaient à honorer les Dieux.
« Lorsque j’étais un enfant, Un dieu souvent m’a sauvé Des cris et des sollicitations des humains. Je jouais, alors, sain et sauf, Avec les fleurs du bois, Et les brises du ciel Jouaient avec moi.
Et, de même que tu mets Le cœur des plantes en joie, Quand elles tendent vers toi Leurs bras délicats, Tu as mis mon cœur en joie, Ô Soleil, mon père ! Et tu étais Mon calendrier préféré, Ô Lune bénie.
Ô vous tous, Dieux Amicaux et fidèles ! Si vous pouviez savoir Comme mon âme vous a aimés !
Certes, je ne vous appelais pas En ce temps-là par des noms, et vous non plus Vous ne me nommiez pas comme les hommes se nomment (Comme s’ils se connaissaient !).
Mais je vous connaissais mieux pourtant Que j’ai jamais connu les hommes, Je comprenais le silence de l’éther : Je n’ai jamais compris la parole des hommes.
L’harmonie fut ma mère Dans les bois qui fredonnent, Et c’est parmi les fleurs Que j’appris à aimer.
C’est dans les bras des dieux que j’ai grandi. »
(Bien que Friedrich Hölderlin (1770-1843) ait vécu avant que les mythes scandinaves ne soient connus du grand public, et avant qu’il ne soit attesté que les mythes scandinaves et les mythes germaniques étaient similaires, son oeuvre poétique est marquée par des références aux mythes grecs (il appelle par leurs noms gréco-romains le Soleil, la Lune, et le calendrier luni-solaire des anciens païens européens). Il va même plus loin, en affirmant un lien intime avec des puissances divines, qu’il voit dans la Nature – la Nature extérieure comme la nature humaine. Comme d’autres poètes romantiques allemands, son oeuvre a directement inspiré la naissance des premiers mouvements néopaïens européens, et a donc contribué à la renaissance actuelle des religions ethniques européennes.)
Da ich ein Knabe war
Da ich ein Knabe war, rettet’ ein Gott mich oft vom Geschrei und der Rufe der Menschen, da spielt’ ich sicher und gut mit den Blumen des Hains, und die Lüftchen des Himmels spielten mit mir.
Und wie du das Herz der Planzen erfreust, wenn sie entgegen dir die zarten Arme strecken, so hast du mein Herz erfreut, Vater Helios! und, wie Endymion, war ich dein Liebling, heilige Luna!
O all ihr Treuen freundlichen Götter! Daß ihr wüßtet, wie euch meine Seele geliebt!
Zwar damals rief ich noch nicht Euch mit Nahmen, auch ihr Nanntet mich nie, wie die Menschen sich nennen Als kennten sie sich.
Doch kannt’ ich euch besser, Als ich je die Menschen gekannt Ich verstand die Stille des Aethers Der Menschen Worte verstand ich nie.
Mich erzog der Wohllaut des säuselnden Hains, und lieben lernt’ ich unter den Blumen.
« Salut, au jour ! Salut aux fils du jour ! Salut à la nuit et ses filles maintenant ! Regardez-nous ici avec des yeux aimants, Pour que nous, ici présents, remportions la victoire.
Salut aux Ases ! Salut aux Asynes ! Salut à toute la terre généreuse ! Donnez-nous la sagesse, et de bonnes paroles, Et des mains guérisseuses, pour toute la vie.
Salut aux Vanes ! Salut aux Dises des Vanes ! Salut à tous les elfes qui, à jamais. Sous l’arbre de la forêt verte, Ecoutent le son des cordes de la harpe !
Salut aux hautes montagnes couvertes de forêts, Et à toutes les vallées vertes ! Salut aux vents qui passent sur toutes les terres, Remplissant le coeur des hommes !
Salut au soleil, qui d’en haut contemple Toute la terre avec ses yeux brillants ! Salut à la lune, cette lune nocturne. Qui erre dans le ciel sombre !
Entonnons tous maintenant les chants de louange, Pour les dieux, les elfes, et les hommes ; Pour les nains et les génies, et tout ce qui est bon Sous le regard du soleil.
Chantons ensemble pendant que le temps le permet, Avant que les mensonges et les calomnies ne nous séparent ; Puis quittons-nous en paix, comme devraient le faire des amis Qui depuis longtemps s’apprécient ! »
Partie en gras : Sigrdrífumál, 2-3 (Edda poétique)
Histiè, qui protèges la demeure sacrée de l’Archer Apollon, dans la divine Pythô, l’huile liquide coule toujours de tes tresses. Viens dans cette demeure, ayant un esprit propice, avec le prévoyant Zeus, et accorde la grâce à mon chant ! Histiè, qui, dans les hautes demeures de tous les Dieux immortels et des hommes qui marchent sur la terre, as reçu en partage un siège éternel, honneur antique ! Tu as cette belle récompense et cet honneur, car, à la vérité, il n’y aurait point sans toi de festins chez les mortels. C’est par Histiè que chacun commence et finit, en faisant des libations de vin mielleux. Histiè, déesse, sois propice à mon désir ! Je te chante et j’élève vers toi, comme un encensoir, un chant à ta gloire.
Ô Histiè, digne d’hommages, tu possèdes un beau palais, reçu en présent de Zeus, toi qui régis, dans les hautes demeures, les plaisirs et les festins ! Quand tous les dieux sont réunis, tu as le premier rang parmi eux, car tous t’estiment et te louent. Mais les hommes également te chérissent et te vénèrent, car tes dons sont les plus précieux : sans eux, nul banquet et nul sacrifice ne peuvent se tenir. Ainsi, tu es présente dans la demeure de chaque homme, peu importe qu’elle soit grande ou petite, et tu es toujours invoquée, toi, la déesse de chaque foyer de Grèce. Chacun, avant même de sacrifier à Zeus qui est le roi des Dieux, souhaite boire et manger en ton honneur, rassasié de bon vin. Ainsi, ô reine, c’est à toi qu’appartient la gloire la plus grande et la plus belle, puisque, parmi les dieux comme parmi les hommes, tu es toujours la bienvenue. Chantons donc maintenant en ton honneur, ô déesse, avec un chant digne de toi !
Histiè, déesse des hôtes, au sein du festin tu es la souveraine, celle que tous les dieux honorés, ainsi que les hommes, invoquent toujours. C’est toi qui présides aux banquets, car nul boit ni ne mange sans t’avoir invoquée. En effet, avec les autres dieux, tu apportes la joie aux hommes, et tu as, ô déesse, reçu un siège éternel au milieu des festins des dieux immortels, dans la demeure du Roi Zeus. C’est là que, assise à côté de l’Olympien, sur un siège d’or, tu prends du bon vin dans un gobelet brillant. Et quand, du haut de l’Olympe, tu regardes la terre, tu es ravie de voir les hommes, qui, sur tout le pourtour de la mer, honorent les dieux avec de beaux sacrifices. C’est à toi qu’ils offrent des boissons et des viandes, et tu te réjouis de voir tout cela. Ainsi, ô déesse, c’est à toi qu’il revient de présider aux banquets et aux libations, car c’est toi qui donnes la joie aux dieux et aux hommes !
Chante pour moi, Muse amicale, Et fais débuter mon chant, Envoie moi un souffle depuis tes clairières Pour agiter mon esprit.
Sage Calliope, Meneuse des réjouissantes Muses Et habile initiatrice aux Mystères ! Enfant de Letô, Dêlien, Péan ! Favorisez-moi par votre présence !
(Hymne de Mésomède, à la muse Calliope et à Apollon)
Thanasis Kleopas chante, en grec ancien, un hymne païen du poète Mésomède de Crète (IIe siècle de l’ère chrétienne) pour Calliope (muse de la poésie épique) et pour Apollon Péan (maître des chants rituels), seigneur de l’île sacrée de Dêlos.
Autres interprétations : arrangement acoustique de Stef Conner, puis version dub / ambient.
« Ni le non-être l’existait alors, ni l’être. Il n’existait ni l’espace aérien, ni le firmament au-delà. Qu’est-ce qui se mouvait puissamment ? Où ? Sous la garde de qui ? Était-ce de l’eau, insondablement profonde?
Il n’existait en ce temps ni mort, ni non-mort ; Il n’y avait pas de signe distinctif pour la nuit ou le jour. L’Un respirait de son propre élan, sans qu’il n’y ait de souffle. En dehors de cela, il n’existait rien d’autre.
À l’origine, les ténèbres étaient cachées par les ténèbres. Cet univers n’était qu’onde indistincte. Alors, par la puissance de l’Ardeur, l’Un prit naissance, Principe vide et recouvert de vacuité.
Le Désir en fut le développement originel, Désir qui a été la semence première de la conscience. Enquêtant en eux-même, les poètes surent découvrir Par leur réflexion le lien de l’être dans le non-être.
Leur corde était tendue en transversale. Qu’est-ce qui était au-dessous? Qu’est-ce qui était au-dessus? Il y avait des donneurs de semence, il y avait des pouvoirs. L’élan spontané était en bas, le don de soi était en haut.
Qui sait en vérité, qui pourrait ici proclamer D’où est née, d’où vient cette création ? Les dieux (sont nés) après par la création secondaire de notre monde. Mais qui sait d’où celle-ci même est issue?
Cette création secondaire, d’où elle est issue, Si elle a fait l’objet ou non d’une institution, Seul celui qui surveille ce monde au plus haut firmament le sait… A moins qu’il ne le sache pas ? »
(Nasadiya Sukta – Rig Veda, X, 129, trad. Louis Renou)
Éruption de l’Eyjafjallajökull (Islande), 2010. Photo : Terje Sørgjerd
« Je vous prie de m’écouter vous tous de la famille bénie des enfants de Heimdalr [= les Germains] ; Tu veux, Valföðr [« père des tués » = Odin], que je raconte bien les plus lointains des anciens savoirs dont je me souvienne.
Je me rappelle les géants nés aux temps anciens ceux qui anciennement m’ont nourrie jusqu’à l’âge adulte ; je me souviens de neuf mondes, et de neuf géantes, et le célèbre arbre-ordonnateur de la mesure encore sous la terre.
En ces temps anciens où [le Géant primordial] Ymir s’était installé là, il n’y avait ni sable ni mer ni fraîches vagues ; La terre n’existait pas ni le ciel au-dessus, seulement un gouffre immense et d’herbe point.
Les fils de Burr [Odin et ses deux frères], d’abord, ont rehaussé les terres où Miðgarðr [le monde des Humains] se trouve, glorieusement façonné par magie; la Soleil a brillé du Sud sur la salle en pierre, alors dans le sol ont poussé de verts poireaux.
La Soleil, depuis le Sud, tendit sa main au Lune pour avoir une place confortable tout autour du ciel ; la Soleil ne savait pas quelle demeure elle avait, les étoiles ne savaient pas quel logement elles avaient, le Lune ne savait pas quelle puissance il avait.
Alors toutes les puissances sacrées s’installèrent sur les sièges de jugement, les dieux, divinités suprêmes et de ceci ils délibérèrent : Ils attribuèrent des noms à la nuit et à ses descendantes, ils nommèrent le matin et le milieu du jour, les heures du jour et celles du soir, ils comptèrent les années. »
Les Grecs accomplirent la riche hécatombe [sacrifice de cent boeufs] dans l’ordre consacré, autour de l’autel bâti selon le rite. Et ils se lavèrent les mains, et ils préparèrent les orges salées [les grains d’orge salés servent à consacrer l’autel et les victimes selon le rite grec] et Chrysès, à haute voix, les bras levés, priait pour eux :
« Entends-moi, Porteur de l’arc d’argent, qui protèges Chrysès et la divine Killa, et commandes fortement sur Ténédos. Déjà tu as exaucé ma prière ; tu m’as honoré et tu as couvert d’affliction les peuples des Grecs. Maintenant écoute mon vœu, et détourne loin d’eux la contagion ! »
Sacrifice grec sur un vase rouge, Ve siècle av. J.-C.
Il parla ainsi en priant, et Phoibos Apollôn l’exauça. Et, après avoir prié et répandu les orges salées, renversant en arrière le cou des victimes, ils les égorgèrent et les écorchèrent. On coupa les cuisses, on les couvrit de graisse des deux côtés, et on posa sur elles les entrailles crues.
Et le vieillard les brûlait sur du bois sec et les arrosait d’une libation de vin rouge. Les jeunes hommes, auprès de lui, tenaient en mains des broches à cinq pointes. Et, les cuisses étant consumées, ils goûtèrent les entrailles ; et, séparant le reste en plusieurs morceaux, ils les transpercèrent de leurs broches et les firent cuire avec soin, et le tout fut retiré du feu. Après avoir achevé ce travail, ils préparèrent le repas ; et tous furent conviés, et nul ne se plaignit, dans son âme, de l’inégalité des parts.
Ayant assouvi la faim et la soif, les jeunes hommes couronnèrent de vin les cratères [grands vases servant à mélanger le vin pur et l’eau, à la mode grecque] et les répartirent entre tous à pleines coupes. Et, durant tout le jour, les jeunes Grecs apaisèrent le dieu par leurs hymnes, chantant le joyeux péan [chant sacré] et célébrant l’Archer Apollôn, qui se réjouissait dans son cœur de les entendre.
Quand Hélios[le dieu Soleil] tomba et que les ombres furent venues, ils se couchèrent auprès des câbles, à la proue de leur navire ; et quand Êôs [la déesse de l’Aurore] aux doigts de rose, née au matin, apparut, ils s’en retournèrent vers la vaste armée des Grecs, et l’Archer Apollôn leur envoya un vent propice.
En avel a-benn ni ‘ziwano, Ni a gresko, ni a zesko. En avel a-benn ni a c’hlazo, Ni a vrousto, ni a vleunio. En avel a-benn ni ‘weñvo, Ni ‘zisec’ho ha ni ‘gollo. En avel a-benn ni ‘ouelo, N’eus forzh ni ‘gendalc’ho atav !
En avel a-benn ni ‘goshaio, Ni ‘galedo, ‘n em zifenno. En avel a-benn ni a frouezho, C’hoazh hag adarre, diarzav. En avel a-benn ni ‘hado, Ni ‘eosto ha ni ‘drec’ho. En avel a-benn ni ‘gano, Ha tu an avel ni ‘cheñcho !
Par vent contraire nous germerons, Nous croîtrons, nous apprendrons. Par vent contraire, nous verdirons, Nous bourgeonnerons, nous fleurirons. Par vent contraire, nous nous fanerons, Nous nous dessécherons et nous perdrons. Par vent contraire nous pleurerons : Peu importe, nous persévérerons toujours !
Par vent contraire nous vieillirons, Nous durcirons, nous nous défendrons. Par vent contraire, nous fructifierons, Encore et toujours, sans relâche. Par vent contraire nous sèmerons, Nous moissonnerons et nous vaincrons. Par vent contraire nous chanterons, Et le sens du vent, nous le changerons !
Alors que le soleil s’est couché derrière les arbres, de minuscules étoiles vertes s’allument doucement sur le plancher d’humus.
Pourquoi les vers luisants luisent-ils ? Peu à peu, on ne voit plus qu’eux : la lune est nouvelle (pour ne pas dire noire) et le ciel est couvert.
Pourquoi luisent-ils donc ? Cela fait d’eux des proies parfaites, qu’on détecte à cent pas malgré leur petite taille qui les rend si vulnérables. Quelle mouche les a donc piqués, ces vers, pour s’afficher ainsi, alors même qu’ils n’ont pas d’option de monétisation sur le nombre de vues ni de cagnotte participative à remplir ?
Alors, pourquoi les vers luisants luisent-ils ? Ils luisent pour dire « je suis là ! », et ils le disent dans le plus beau des langages, celui de la beauté (qui est l’autre nom du bien).
Ils luisent pour que les autres vers sachent qu’ils ne sont pas seuls. Ils luisent pour se reconnaître entre semblables. Ils luisent pour se rencontrer et être fertiles ; ils luisent pour que, à travers les générations successives, se transmette ce qu’ils sont. Ils luisent parce que l’alternative (rester cachés pour survivre une ou quelques nuits de plus) signifie qu’ils périront de toute façon, sans que la lumière qu’ils portent ne puisse se perpétuer. Ils luisent pour que, année année, siècle après siècles, millénaire après millénaire, perdure cette lumière vacillante.
Et ce ver luisant isolé, pourquoi luirait-il alors qu’il est seul ? Il luit parce que, s’il est seul, s’il est le dernier de sa génération et plus encore s’il est le dernier de son espèce, luire c’est être et être c’est luire. Luire ou ne pas être, là est la question. S’il est le dernier et que tout est vain parce que voué à l’extinction, il est doublement important de luire, pour jouer sa part dans la symphonie cosmique et son rôle dans la sublime tragédie de la vie.
Voilà pourquoi les vers luisants luisent.
Pour cela, et pour offrir, à celui qui sait regarder, une des si nombreuses leçons que cache la Nature, source inépuisable de toute beauté et de toute sagesse.
Le Barzhaz Breizh (« bardit de Bretagne ») est un recueil de chants bretons collectés au XIXe siècle par le marquis Théodore Hersart de la Villemarqué (Kervarker, en breton). L’authenticité de ces chants a longtemps été mise en doute, polémique entretenue par le fait que le marquis, vexé, avait refusé de montrer ses carnets de collectage. La thèse doctorale de Donatien Laurent, spécialiste de la littérature orale bretonne ayant eu accès aux fameux carnets grâce à l’arrière-petit-fils de Théodore, a tranché la question. Ce sont des chants authentiques, qui semblent simplement avoir été compilés et corrigés en assemblant plusieurs versions incomplètes.
Outre leurs qualités poétiques et musicales (louées par Georges Sand et par le mouvement culturel breton), on y trouve de nombreux exemples de ce qui semble être des survivances du paganisme celtique des Bretons de l’Antiquité : hymnes rituels, voeux, serments sacrés, prophéties, fragments de mythes, recommandations de bon comportement avec les génies locaux, etc.
Le Barzhaz Breizh, édition Coop Breizh.
Chacune de ces catégories fera l’objet d’un article à part. Commençons aujourd’hui avec les serments. Pour rappel, la parole donnée est un des fondements indispensables des religions et des sociétés celtiques païennes (comme c’est le cas, plus largement, dans l’ensemble du monde indo-européen païen). Le serment est ce qui fonde toute relation harmonieuse entre les personnes et entre les communautés. Le parjure se diminue donc lui-même, en détruisant son honneur et sa parole, c’est-à-dire la force sacrée qui l’habite… Mais, pire encore, en créant le doute par rapport à la valeur des serments, il fragilise aussi la société et l’ordre cosmique tout entier, en les faisant retourner vers le chaos primordial, avant que celui-ci ne soit organisé par les dieux des Celtes. Tout serment a donc une valeur sacrée dans la religion celtique.
Venons-en à présent aux chants du Barzhaz Breizh qui contiennent de tels serments. Ils sont au nombre de deux : « le tribut de Nominoé » (Drouk-kinnig Nevenoe) et « le Faucon » (ar Falc’hun).
Drouk-kinnig Nevenoe, chanté par Yann-Fañch Kemener avec l’accent du pays vannetais
Premier extrait : Le tribut de Nominoé (II, §21-22). « Je le jure par la tête de ce sanglier, et par la flèche qui l’a percé ; avant que je lave le sang de ma main droite, j’aurai lavé la plaie du pays ! » (Me hen toue penn ar gouez-mañ, / Hag ar saezh a flemmaz anezhañ, / Kent ma gwalc’hin gwad va dorn dehoù, / Am bo gwalc’het gouli ar vro !)
=> Ce chant a pour contexte la Bretagne du IXe siècle. Les chefs bretons avaient accepté de verser à l’empereur franc Charlemagne un tribut annuel en pièces d’or, en échange du maintien de leur indépendance. Sous le règne de son descendant Charles le Chauve, un noble breton nommé Nominoé (Nevenoe) est chargé d’empêcher les raids de guerriers bretons contre les territoires francs, et de veiller au bon paiement du tribut annuel. Il acquiert donc un certain pouvoir en Bretagne, prenant le titre de comte des Bretons. Une année, Karo, le fils d’un ozac’h meur (chef de clan) des Monts d’Arrée, va porter le tribut dans la ville de Rennes, mais le poids d’or n’y est pas, et l’intendant franc lui coupe la tête pour « faire le poids ». Le vieux père de Karo est fou de douleur, et se présente dans la demeure de Nominoé, réclamant vengeance pour ce crime. Nominoé rentre à ce moment de la chasse, une tête de sanglier à la main, et prononce ces mots. Ayant tenu « ce serment terrible et sanglant » et « lavé la plaie du pays » en menant une guerre victorieuse pour chasser les Francs, il deviendra le premier roi de toute la Bretagne armoricaine, et sera surnommé Tad ar Vro, le Père de la Patrie.
D’une certaine manière, c’est le fait d’avoir démontré la valeur de sa parole qui lui a permis, en prouvant et en augmentant la force sacrée qui l’habitait, de devenir le pilier d’un nouvel ordre social dont il a garanti et incarné l’harmonie et la robustesse… comme le faisaient les rois celtes païens de l’Antiquité. De la même manière, ceux qui veulent aujourd’hui faire renaître les traditions celtiques devront s’appuyer sur la valeur sacrée du serment pour structurer leurs communautés, car sans communautés les rites ancestraux n’ont ni sens ni valeur. Tout particulièrement, il est vital que des meneurs engagent leur personne et leur force sacrée en proclamant publiquement leur volonté d’accomplir des faits dignes de louange, et surtout en réalisant concrètement ces projets. C’est de cette manière qu’ils pourront être de véritables « piliers de la communauté », et faire rayonner pleinement le potentiel de notre religion celtique, qui est de relier à la fois les humains aux dieux et les humains entre eux.
Nominoé prête serment. Illustration de John Tenniel pour Ballads of Britanny (1865).
Deuxième extrait : Le faucon (v. 23-24 et 33-36). « Je ne payerai pas, je le jure par les charbons rouges de ce feu, par saint Cado et par saint Jean ! […] – Avant le jour ils auront querelle et bataille ! Nous le jurons par la mer et la tonnerre ! Nous le jurons par la lune et les étoiles ! Nous le jurons par le Ciel et la Terre ! » (Na rin ket m’hen toue ruz-glaou-tan, / Sant Kadoù kerkoulz ha Sant Yann ! […] – Kent an deiz kavfont trouz ha kann, / Nini hen toue mor ha taran ! / Nini hen toue stered ha loar ! / Nini hen toue neñv ha douar !)
=> Ce chant a pour contexte la Bretagne du XIe siècle. L’intendant du royaume, un Normand nommé par Edwige de Normandie (veuve du duc Geoffroi Ier de Bretagne et soeur du duc Richard de Normandie), a levé des taxes injustes et contraires à la coutume, affamant le peuple breton pour s’enrichir. Les paysans, outrés par cet affront à la tradition et bien décidés à ne pas laisser leurs familles mourir de faim, se soulèvent avec une violence telle qu’un édit ducal encadrera sévèrement les modalités de fixation et de collecte des taxes. Ces libertés concrètes du peuple breton seront âprement défendues par la suite, jusque dans les termes négociés par la duchesse Anne de Bretagne au moment de l’union du duché de Bretagne et du royaume de France. Le non-respect de ces clauses par Louis XIV provoqua la première révolte des Bonnets Rouges en 1675. Lorsque le régime républicain refusa de les reconnaître, les considérant comme des « privilèges », le peuple breton prit à nouveau les armes, lors de la longue guérilla de la Chouannerie (1791-1805, avec des actions ponctuelles jusqu’en 1813, et de nouvelles insurrections en 1815 et 1832). C’est aussi le non-respect de ce principe qui sera la cause de la deuxième révolte des Bonnets Rouges en 2013-2014, aboutissant au retrait de la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises, dite « éco-taxe », qui avait été imposée sans consultation du peuple breton.
« Ar Bonedoù Ruz », une pièce écrite par Goulc’han Kervella pour le théâtre Ar Vro Bagan
Pour revenir au serment en question : il concerne donc des paysans luttant pour leurs coutumes ancestrales et la survie de leurs familles. La victoire est à portée de main, mais seulement si tous s’unissent pour prendre les armes, et si personne ne fait défaut en rentrant chez lui face aux hommes d’armes envoyés pour les mater. En prêtant serment, ils s’engagent donc à ne pas trahir leurs compagnons de lutte, et créent une confiance mutuelle basée sur un lien sacré qui les rend invincibles. Les éléments (la mer et le tonnerre, la lune et les étoiles, le ciel et la terre) sont invoqués de manière poétique et saisissante, comme dans un serment païen de l’ancien temps, par exemple dans ce serment irlandais, ou dans le serment des jeunes éphèbes athéniens qui s’engageaient à défendre la terre de leurs pères, les armes à la main (condition indispensable de la citoyenneté, donc de la démocratie).
Sont invoqués aussi dans ce serment : Saint Cado, Saint Jean, et les braises du feu autour duquel les paysans sont assemblés dans la nuit. Saint Cado (vieux-breton Catuog, qui signifie « le combatif ») est le saint patron des lutteurs ; d’ailleurs son pardon, sa fête annuelle, célébrée à Gouenac’h aux alentours de l’équinoxe d’automne, comporte un tournoi de lutte traditionnelle bretonne (gouren). Quant à Saint Jean, il est fêté au moment du solstice d’été par un grand feu de joie (tantad, littéralement « feu-père »), apparenté au feu sacré irlandais de Bealtaine ou à un autre rite spécifique au solstice d’été. Le serment, prononcé sur ce feu sacré rassembleur, place donc ceux qui le prêtent en lien intime à la fois avec les forces cosmiques (mer et tonnerre, lune et étoiles, ciel et terre) et avec leurs camarades de lutte. Jusqu’à ce que la tradition soit rétablie dans son bon droit, jusqu’à ce que l’ordre social redevienne aussi harmonieux que l’ordre naturel dans lequel il doit se placer.
Tournoi de la Saint Cadou (2013), rituel de la prestation de serment. Photographie : Eric Legret.
Pour conclure, rappelons-nous que, puisque le temps des serments sacrés et héroïque n’a pas cessé à la christianisation mais a perduré pendant tout le Moyen-Âge, il peut donc perdurer aussi ici et maintenant – à condition que nous prenions notre destinée en main, pour aligner nos actes à nos paroles, et nos paroles à nos pensées. Bretons, Celtes, Européens : le temps des serments n’appartient pas au passé ! Il appartient à ce que la tradition a de plus sacré, à ce qui ne passe jamais… pour peu que nous ayons le courage d’être des hommes et des femmes dignes de nom.
Kroaz Du (étendard médiéval de la nation bretonne) pavoisé aux abords d’un tantad (feu de la Saint Jean). Crédit photo : Kadmael ar Bleiz.
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