Ce texte traite des anciennes lois terriennes irlandaises. Il se base principalement sur les Lois de Brehon [basées sur la Senchas Már, la Grande Tradition, assez similaire à la Coutume de Bretagne ainsi qu’aux lois galloises et mannoises, mise par écrit vers le VIIIe siècle et née d’un consensus entre les différentes lois orales des tribus d’Irlande qui ne contredisaient pas la Bible], mais prend en compte des sources secondaires, principalement des auteurs anglais qui ont mis par écrit leurs observations personnelles sur les coutumes indigènes des Irlandais. Ceci apporte un point de vue intéressant sur la question de la propriété terrienne à notre époque.
En théorie, donc, la terre n’appartenait pas aux individus, mais à la tribu. Le roi, ou le chef, avait une terre nourricière (« mensal land ») qui lui était attribuée. Le reste était occupé par les membres de la tribu. Le chef, même s’il exerçait une forme de supervision sur la totalité du territoire, n’avait aucun droit de propriété hors de ses terres propres (dans le cas où il en avait), et encore, ces droits cessaient s’il n’y résidait plus en personne [NdT : clin d’œil à nos évadés fiscaux, élus parachutés, et autres collaborateurs du FMI à Washington]. Il semble qu’originellement, aux temps protohistoriques (c’est-à-dire avant le VIIe siècle), l’ensemble des terres était en propriété collective, et que les terres attribuées à chacun, y compris au chef, pouvaient être redistribuées annuellement. Mais, au fur et à mesure, cette coutume s’affaiblit, et une forme de propriété privée se mit en place – à condition d’habiter la terre depuis longtemps et de continuer à respecter la propriété collective des autres terres de la tribu. C’est pourquoi toutes nos sources écrites, y compris les Lois de Brehon, admettent l’existence de propriétés privées (Br. III, 53 ; IV, 69-159), mais non leur généralisation, et les règles qui s’y appliquent restent différentes des nôtres. Ainsi, l’idée originelle de la propriété collective ne fut jamais tout à fait oubliée, car, bien que des gens puissent posséder des terres, cette propriété n’était jamais absolue. Personne ne pouvait, par exemple, vendre ses terres en-dehors de la tribu [NdT : bisous les rois du pétrole et autres multinationales qui « investissent dans le foncier » par chez nous], et on devait se plier aux obligations tribales concernant la bonne gestion des terres (Br. II 283 ; II 53, 55), qui étaient des vestiges des règles de propriété collective [NdT : et des précurseurs en matière de réglementation environnementale]. A l’intérieur de ces limites, on restait libre de disposer de ses terres.
En-dehors des Lois de Brehon, on trouve peu d’autres références à l’ancienne occupation collective des terres. Toutefois, il y a au moins deux passages notés par Sir Henry Maine qui font état de l’ancienne coutume. Tout d’abord, il y a une ancienne préface du Livre des Hymnes : « Il y avait de nombreux habitants en Erin [NdT : un des noms sacrés de l’Irlande] à cette époque (durant le règne de Aed Slaine, de l’an 656 à l’an 664 de l’ère commune), tellement nombreux que la terre ne pouvait leur accorder à chacun qu’une surface égale et déterminée de tourbières, de champs, et de forêts ». L’autre passage est une vieille légende, celle de la naissance de Cuchulainn dans le livre de Dun Cow (copié au XIIe siècle à partir d’un manuscrit plus ancien, lui-même ayant sauvegardé une tradition orale antérieure). Cette histoire raconte comment un groupe de chevaliers de la Branche Rouge partit d’Emain [NdT : la résidence du roi d’Ulster] en direction du sud-ouest, à la poursuite d’oiseaux magiques, et ils progressèrent vite, dit l’histoire, « car à cette époque il n’y avaient ni fossés, ni grillages, ni murs de pierre qui enserraient les terres, mais seulement des champs indifférenciés, et cela jusqu’à ce que vienne le temps des fils de Aed Slaine [NdT : donc, après l’an 664]. A cause du grand nombre de foyers qu’il y eut en leur temps, donc, il se trouva qu’ils créèrent des frontières à l’intérieur de l’Irlande ». Comme ces exemples précisent que cela est lié à une augmentation de la population, et donnent des dates similaires ainsi qu’une mise en place progressive, on peut considérer qu’il s’agit effectivement d’un fait historique. La propriété collective des terres est aussi abordée dans les anciennes « Mémoires de Saint Patrick ».
Des os et débats