Archives mensuelles : septembre 2015

Chant d’automne

I

Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !
J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.

Tout l’hiver va rentrer dans mon être : colère,
Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,
Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
Mon cœur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé.

J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;
L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd.
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe
Sous les coups du bélier infatigable et lourd.

Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
Pour qui ? — C’était hier l’été ; voici l’automne !
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.

II

J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,
Douce beauté, mais tout aujourd’hui m’est amer,
Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l’âtre,
Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.

Et pourtant aimez-moi, tendre cœur ! soyez mère,
Même pour un ingrat, même pour un méchant ;
Amante ou sœur, soyez la douceur éphémère
D’un glorieux automne ou d’un soleil couchant.

Courte tâche ! La tombe attend ; elle est avide !
Ah ! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,
Goûter, en regrettant l’été blanc et torride,
De l’arrière-saison le rayon jaune et doux !

Charles Baudelaire, Chant d’automne (1861)

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Conseils de Cuchulainn à son fils adoptif Lugaid

« Ne sois pas excitateur de querelles stupides. Ne sois pas fougueux, vulgaire ou hautain. Ne sois pas peureux, violent, prompt, téméraire. Ne sois pas un de ces ivrognes qui saccagent et qu’on méprise. Prends garde de ne pas te faire comparer à une puce qui gâterait la bière de ceux que tu supervises. Ne fais pas de trop longs séjours sur la frontière des étrangers. Ne fréquente pas des hommes obscurs et sans puissance. Ne laisse pas expirer les délais de la prescription contre une injustice. Que les souvenirs soient consultés pour savoir à quel héritier doit revenir la terre contestée. Exige conscience et équité de la part des conseillers que tu appelleras. Que les enfants soient régulièrement inscrits sur les arbres généalogiques. Que les héritiers deviennent riches, si tel est leur bon droit. Que les détenteurs étrangers aux familles s’en aillent, et cèdent la place à la noble force des successeurs légitimes.

Drapeau du Haut-Roi d'Irlande, dignité promise à Lugaid Riab nDerg s'il suit ces conseils

Drapeau du Haut-Roi d’Irlande, dignité promise à Lugaid Riab nDerg s’il suit ces conseils

Ne réponds pas avec orgueil. Ne parle pas bruyamment. Évite la bouffonnerie. Ne te moque de personne. Ne trompe pas les vieillards qui ne peuvent défendre leur droit. N’aie de prévention contre personne. Ne demande rien qui outrepasse le pouvoir de celui qui t’obéit. Ne renvoie aucun solliciteur sans réponse. N’accorde, ne refuse, ne prête, ne promets rien sans de bonnes raisons. Reçois humblement les enseignements des sages. Souviens-toi qu’une loi ancienne qui a fait ses preuves est meilleure qu’une loi nouvelle. Vénère nos ancêtres. N’aies pas le cœur froid pour tes amis, sois sans pitié pour tes ennemis. Veille qu’en toutes circonstances ton honneur soit sauf. Ne sois pas un conteur qui ne sait pas s’arrêter. Ne persécute personne. N’amasse rien qui ne soit pas utile ; le reste, donne- le. Ne laisse pas une iniquité sans réprimande. Que ta justice ne soit pas corrompue par les passions des hommes. Respecte le bien d’autrui. Ne sois pas querelleur pour ne pas être haï. Ne sois pas paresseux pour ne pas être faible et dédaigné. Ne t’agite pas sans raison, si tu veux être considéré. Consens-tu à suivre ces conseils, mon fils ? »

Extrait de Cuchulainn of Muirthemne, écrit par Lady Augusta Gregory en 1902 en se basant sur des traditions orales irlandaises

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La propriété collective originelle de la terre en Irlande (P. W. Joyce)

Ce texte traite des anciennes lois terriennes irlandaises. Il se base principalement sur les Lois de Brehon [basées sur la Senchas Már, la Grande Tradition, assez similaire à la Coutume de Bretagne ainsi qu’aux lois galloises et mannoises, mise par écrit vers le VIIIe siècle et née d’un consensus entre les différentes lois orales des tribus d’Irlande qui ne contredisaient pas la Bible], mais prend en compte des sources secondaires, principalement des auteurs anglais qui ont mis par écrit leurs observations personnelles sur les coutumes indigènes des Irlandais. Ceci apporte un point de vue intéressant sur la question de la propriété terrienne à notre époque.

En théorie, donc, la terre n’appartenait pas aux individus, mais à la tribu. Le roi, ou le chef, avait une terre nourricière (« mensal land ») qui lui était attribuée. Le reste était occupé par les membres de la tribu. Le chef, même s’il exerçait une forme de supervision sur la totalité du territoire, n’avait aucun droit de propriété hors de ses terres propres (dans le cas où il en avait), et encore, ces droits cessaient s’il n’y résidait plus en personne [NdT : clin d’œil à nos évadés fiscaux, élus parachutés, et autres collaborateurs du FMI à Washington]. Il semble qu’originellement, aux temps protohistoriques (c’est-à-dire avant le VIIe siècle), l’ensemble des terres était en propriété collective, et que les terres attribuées à chacun, y compris au chef, pouvaient être redistribuées annuellement. Mais, au fur et à mesure, cette coutume s’affaiblit, et une forme de propriété privée se mit en place – à condition d’habiter la terre depuis longtemps et de continuer à respecter la propriété collective des autres terres de la tribu. C’est pourquoi toutes nos sources écrites, y compris les Lois de Brehon, admettent l’existence de propriétés privées (Br. III, 53 ; IV, 69-159), mais non leur généralisation, et les règles qui s’y appliquent restent différentes des nôtres.  Ainsi, l’idée originelle de la propriété collective ne fut jamais tout à fait oubliée, car, bien que des gens puissent posséder des terres, cette propriété n’était jamais absolue. Personne ne pouvait, par exemple, vendre ses terres en-dehors de la tribu [NdT : bisous les rois du pétrole et autres multinationales qui « investissent dans le foncier » par chez nous], et on devait se plier aux obligations tribales concernant la bonne gestion des terres (Br. II 283 ; II 53, 55), qui étaient des vestiges des règles de propriété collective [NdT : et des précurseurs en matière de réglementation environnementale]. A l’intérieur de ces limites, on restait libre de disposer de ses terres.

Carte IrlandeEn-dehors des Lois de Brehon, on trouve peu d’autres références à l’ancienne occupation collective des terres. Toutefois, il y a au moins deux passages notés par Sir Henry Maine qui font état de l’ancienne coutume. Tout d’abord, il y a une ancienne préface du Livre des Hymnes : « Il y avait de nombreux habitants en Erin [NdT : un des noms sacrés de l’Irlande] à cette époque (durant le règne de Aed Slaine, de l’an 656 à l’an 664 de l’ère commune), tellement nombreux que la terre ne pouvait leur accorder à chacun qu’une surface égale et déterminée de tourbières, de champs, et de forêts ». L’autre passage est une vieille légende, celle de la naissance de Cuchulainn dans le livre de Dun Cow (copié au XIIe siècle à partir d’un manuscrit plus ancien, lui-même ayant sauvegardé une tradition orale antérieure). Cette histoire raconte comment un groupe de chevaliers de la Branche Rouge partit d’Emain [NdT : la résidence du roi d’Ulster] en direction du sud-ouest,  à la poursuite d’oiseaux magiques, et ils progressèrent vite, dit l’histoire, « car à cette époque il n’y avaient ni fossés, ni grillages, ni murs de pierre qui enserraient les terres, mais seulement des champs indifférenciés, et cela jusqu’à ce que vienne le temps des fils de Aed Slaine [NdT : donc, après l’an 664]. A cause du grand nombre de foyers qu’il y eut en leur temps, donc, il se trouva qu’ils créèrent des frontières à l’intérieur de l’Irlande ». Comme ces exemples précisent que cela est lié à une augmentation de la population, et donnent des dates similaires ainsi qu’une mise en place progressive, on peut considérer qu’il s’agit effectivement d’un fait historique. La propriété collective des terres est aussi abordée dans les anciennes « Mémoires de Saint Patrick ».

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Dialogue entre les Athéniens et les Méliens il y a 2400 ans

« Les dieux (d’après notre opinion) et les hommes (d’après notre connaissance des réalités) tendent, selon une nécessité de leur nature, à la domination partout où leurs forces prévalent. Ce n’est pas nous qui avons établi cette loi et nous ne sommes pas non plus les premiers à l’appliquer. Elle était en pratique avant nous ; elle subsistera à jamais après nous. Nous en profitons, bien convaincus que vous, comme les autres, si vous aviez notre puissance, vous ne vous comporteriez pas autrement. »

(extrait de l’Histoire de la Guerre du Péloponnèse de Thucydide, deuxième historien de l’Histoire européenne après Hérodote)

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Déclaration de l’Organisation pour une Papouasie Libre

Les tribus papoues, indigènes de l’île de Nouvelle-Guinée, sont sous domination indonésienne depuis 1963. Ils représentaient 94% de la population dans les années 70, mais d’après les courbes actuelles, ils ne seront plus que 15% en 2030. Cela est dû à une politique de remplacement ethnique mise en place par le gouvernement indonésien, à des programmes d’acculturation sous couvert de « modernisation », à la destruction des écosystèmes pour des raisons financières, à des conversions forcées à l’Islam (l’Indonésie est le plus grand pays musulman au monde) à la place de leurs religions traditionnelles, et à la répression gouvernementale (criminalisations d’actes « troublant l’ordre public », comme le fait de brandir un drapeau papou). Vous pouvez signer la principale pétition de soutien ici : http://www.thepetitionsite.com/fr-fr/takeaction/109/791/582/

Déclaration de l’Organisation pour une Papouasie Libre (Free Papua Movement / OPM)
Nous ne sommes pas des terroristes !
Nous refusons la vie moderne.
Nous refusons toute sorte « d’aide au développement » :  groupes religieux, organismes humanitaires, et organisations gouvernementales.
Contentez-vous de nous laisser tranquilles, s’il vous plaît !

Les raisons historiques et politiques de notre combat
Nous avons été envahis de manière violente et manipulatrice par l’Etat indonésien, sous la supervision de l’ONU et des Etats-Unis dont il servait les intérêts de manière opaque.
Nous avons été traités comme si nous n’avions aucune valeur : assassinés, torturés, oppressés d’une multitude de manières.

Nous avons été déplacés par les migrations forcées, l’urbanisation, et toutes sortes de processus d’ingénierie sociale, appliquées par le gouvernement indonésien avec l’aide de la Banque Mondiale, des organismes humanitaires internationaux comme la Croix Rouge, et même des organisations écologistes comme WWF.
Nous sommes considérés comme une menace pour la sécurité nationale et comme des terroristes alors que nous nous battons pour notre propre environnement, nos propres droits, notre propre peuple ;
Nos voix sont toujours négligées et ignorées.

Notre riposte est un choix logique

Notre riposte est la manière la plus naturelle de faire face à la destruction et l’exploitation délibérée de nos vies et de notre environnement.
Notre riposte est la réaction la plus naturelle aux intolérables massacres, disparitions, tortures, oppressions et intimidations causés par le gouvernement indonésien.
Notre riposte est une nécessité absolue face à ce régime brutal, inhumain, destructeur, exploiteur, ignorant et terrifiant.
Notre riposte est primordiale pour la simple survie de notre peuple tribal sur cette planète. Pas le lobbying, pas la persuasion, pas la diplomatie, pas la démocratie.
Notre riposte est ce qui est juste face à l’armée indonésienne, fermement soutenue par les pays dits « démocratiques », formule vide et absurde.
Nous ne serons plus ignorés.

Solidarité avec l’OPM !
Nous devons mettre fin à l’exploitation des ressources naturelles par les entreprises multinationales. Nous devons faire cesser l’exploitation des peuples tribaux de Papouasie Occidentale. Nous devons stopper les organisations religieuses, les gouvernements, les ONG, qui détruisent la culture des peuples de Papouasie Occidentale.
Nous nous adressons à « l’Occident » comme à des personnes. Pas comme à des représentants gouvernementaux, ou à des employés. Nous voulons que la civilisation moderne regarde en face la lutte des peuples de Papouasie Occidentale pour survivre en tant que peuples.    
1.    Faites pressions sur les gouvernements qui prétendent appliquer une politique étrangère éthique, mais vendent des armes à l’Indonésie
2.    Faites pressions sur le régime indonésien
3.    Faites pressions sur les entreprises qui détruisent notre terre et notre peuple
4.    Soutenez les peuples qui ont pris les armes dans la jungle
5.    Nous devons tous faire front contre notre Ennemi Commun

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Les dieux du cosmos et la Création de YHWH

Hasards de l’algorithme Fessebouc, s’est invitée dans mon fil d’actualités une citation de Parménide, un philosophe grec païen pré-socratique (mes préférés). Un passage en particulier m’a interpellé, me rappelant une vieille discussion avec un ami étudiant en philo. Parménide parle ici de ce qui existe, c’est-à-dire l’Univers :

« Car quelle origine lui chercheras-tu ? D’où, et dans quel sens, aurait-il grandi ? De ce qui n’existe pas ? Je ne te permets ni de le dire ni de le penser ; car c’est inexprimable et inintelligible que ce qui est n’existe pas. Quelle nécessité l’aurait fait naître précédemment, ou pourrait le faire naître ultérieurement, en commençant de rien ? Il faut qu’il soit tout à fait ou ne soit pas. Et la force de la raison ne te laissera pas non plus, de ce qui est, faire naître quelque autre chose. Ainsi ni la genèse ni la destruction ne lui sont permises par la Justice ; elle ne relâchera pas les liens où elle le tient. L’Univers existe ou n’existe pas ; mais il a été décidé qu’il fallait abandonner l’une de ces routes, incompréhensible et sans nom, comme sans vérité, pour prendre l’autre : que l’Univers existe véritablement. Mais comment ce qui est pourrait-il commencer à être plus tard ? Comment aurait-il pu naître ? S’il est né, il n’est pas, pas plus que s’il doit naître un jour. Ainsi disparaissent la genèse et la mort inexplicables. »

Parménide, Fragments 62-77

Buste de Parménide, fils de Pyres

Buste de Parménide, fils de Pyres

Pour les Juifs, les Galiléens, et les Mahométans, leur Dieu est la Cause Première, l’Incréé, Celui-Qui-Est, et le cosmos est sa « Création ». Pour les païens, c’est-à-dire les pratiquants d’une religion traditionnelle, c’est le Cosmos qui est sa propre Cause Première, Incréée, c’est le Cosmos qui est Ce-Qui-Est. On retrouve cette conception dans toutes les mythologies indo-européennes dans la cosmogonie a été conservée (grecque, scandinave, etc). D’où une incompréhension du terme de « polythéisme », aussi bien de la part des tenants des suivants d’Abraham que des athées qui restent Galiléens dans leur mode de pensée. Il y a bien plusieurs entités supra-humaines (les dieux), mais une seule Cause Première, qui est le Cosmos lui-même, c’est à dire tout (pan) : de ce point de vue-là, ces religions sont panthéistes. Étonnamment, il se trouve qu’elles rejoignent du coup la plupart des modèles cosmologiques actuellement considérés comme plausibles par les astrophysiciens : pas de cause externe à l’Univers, qui ne connaît « ni la genèse, ni la destruction ». Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme…

Il y a un autre point intéressant dans ce passage. Chez Parménide, comme chez d’autres, on trouve l’idée d’une loi cosmique, ici la Justice (Dikè), qui est ce qui régit le fonctionnement de tout ce qui est. Cela fait écho au R.ta dans les Védas (Sanatana Dharma, l’éternelle loi, dans l’hindouisme médiéval), à l’Örlög (« loi primordiale ») chez les Germains… Les religions traditionnelles indo-européennes (mos maiorum = moeurs ancestrales chez les Romains, forn siðr = antique coutume chez les Scandinaves, hindu dharma = loi indienne, …), sont ce qui est prescrit à chaque membre de la communauté, compte tenu de la terre où il réside et de la lignée à laquelle il appartient, afin d’agir en accord avec cette loi cosmique. Donc, les religions traditionnelles ne sont pas basées sur l’adhésion personnelle à un credo (on rejoint donc là encore la libre-pensée moderne), mais sur une manière d’agir qui permette de maintenir des relations harmonieuses avec le Cosmos.

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