Il est très courant das les religions traditionnelles de vénérer des arbres, soit directement, soit comme réceptacle de la présence d’une divinité (on le voit encore aujourd’hui dans le chamanisme mongol, shintoïsme, hindouïsme, animisme africain, etc). La chose est aussi encore bien vivante en Europe, avec le sapin de Noël et la couronne de houx, mais aussi avec des arbres intégrés dans les cultes chrétiens, comme les chênes pouilleux, les arbres à clous (souvent des chênes ou des tilleuls), ou les chênes de la vierge.

Arbre à clous, Herchies, Belgique
On pense parfois que ce culte des arbres, en Europe, aurait été uniquement d’origine celtique ou germanique. Ce texte de l’auteur romain Pline l’Ancien nous prouve le contraire :
« Les arbres ont été les temples des divinités ; et encore aujourd’hui les campagnes, conservant dans leur simplicité les rites anciens, consacrent le plus bel arbre à un dieu. Et, dans le fait, les images resplendissantes d’or et d’ivoire ne nous inspirent pas plus d’adoration que les bois sacrés et leur profond silence. Chaque espèce d’arbre demeure toujours dédiée à une même divinité, le chêne à Jupiter, le laurier à Apollon, l’olivier à Minerve, le myrte à Vénus, le peuplier à Hercule. Bien plus, les Sylvains, les Faunes, des déesses, des divinités spéciales sont, dans nos croyances, chargées du soin des forêts, comme d’autres divinités président au ciel. » (Pline l’Ancien, Histoire Naturelle 12, 3-5)
Rappellons qu’en l’an 743, le concile de Leptines interdit encore, dans son Indiculus superstitionum et paganiarum, « les sacrifices dans les bois qu’on nomme nemeton » (point VI).
Dans la tradition germano-scandinave, on associe le frêne à Odin ; le sureau, le genévrier et le lin à sa compagne ; le chêne à Thor ; le sorbier et les céréales à son épouse Sif ; la camomille sauvage à Balder ; les pommiers à Idunn. Les bouleaux et les ifs, symbolisés par les runes b (Berkana) et ï (Eïwaz), ont également tendance à être la demeure d’un esprit, de même que les prunelliers ou les aubépines, représentés par la rune th (Thurisaz).

Arbre sacré, source de Madron, Cornouaille britannique
Chez les Gaulois, on associe le chêne à Taranis (Maxime de Tyr, Dissertations, VIII, 8 : « Les Celtes rendent un culte à Zeus, mais l’image de Zeus, chez les Celtes, est un grand chêne »). C’est sans doute pour cette raison, et pour le caractère sacré du gui de chêne, que leur abattage était interdit sans autorisation d’un druide ; et pour cette raison aussi que le mot français chêne vient d’un des trois mots gaulois le désignant (cassanos, deruos, tannos) et non du latin quercus. Les autres arbres ont des liens moins nets avec une divinité, mais le pommier (immortalité, cf. Avallon = Ynys Afallach en gallois, l’île des pommes), le noisetier (sagesse), le hêtre (inscriptions « Deo Fago », au dieu hêtre, en Gaule Aquitaine), sont également sacrés. Dans l’alphabet oghamique irlandais, cinq signes ont clairement un nom d’arbre : le chêne, le sorbier, l’aulne, le noisetier et le bouleau. Chez les Gallois, Yspaddaden Penkawr, l’équivalent du Balor gaélique, le chef des Géants, a un nom qui signifie très exactement « Aubépine, Chef-des-Géants ». Enfin, en Bretagne, les buissons d’ajoncs servent de refuge aux âmes des morts, il faut donc éviter de les déranger pendant la nuit (particulièrement le 31 octobre et le 30 avril, quand le voile entre les mondes est le plus fin).
Quant aux Baltes, le chêne y est aussi associé au dieu du tonnerre, Perkûnas. Dans les Balkans, le bouleau est associé au personnage de Baba Marta, le grand-mère du printemps.
Dans tous les cas, les manières de procéder au culte des arbres sont assez simples : ne pas les abattre, ne les tailler que si besoin ou pour collecter un peu de bois à usage rituel conformément aux traditions, déposer des offrandes (rubans autour des branches sans trop les serrer, dépôt de fleurs ou de biscuits, libations). La prière n’a guère besoin d’être longue, il suffit par exemple de le toucher de la main droite en disant « Salut à toi, arbre sacré ! Je te remercie pour tes bienfaits ».
Notez aussi que, si vous vivez en appartement, il est souvent possible d’avoir des versions bonsaï de ces arbres ; bien que le débat reste ouvert pour savoir si c’est bien respectueux ou conforme aux traditions européennes, le Chat Poron en est assez partisan comme solution alternative.
Chez les Celtes, l’idée d’un Arbre-Monde était probablement bien ancrée aussi. Cette croyance semble avoir perduré dans des textes bretons en latin jusque dans le Haut Moyen-âge… Dans un passage de la vie de saint Judicael on peut lire : « il vit dans un rêve la montagne le plus élevée située au milieu de son pays de Bretagne, c’est-à-dire en son point central [ombilic], sur laquelle se trouve un sentier difficile d’accès. Et là, au sommet de la montagne, il était assis lui-même dans une chaire d’ivoire. Et devant ses yeux se dressait un poteau d’une taille prodigieuse en forme de colonne ronde, implanté dans la terre par des racines, fixé au ciel par ses branches, dont le fût s’étirait tout droit de la terre jusqu’au ciel. » (‘Orbituaire de Saint-Méen’, BNF ms 9889 ; Fol. 121r / cité par Bernard Merdrignac, ‘D’une Bretagne à l’autre – Les migrations bretonnes entre histoire et légendes’, éd. Presses Universitaire de Rennes, coll. « Histoire », 2012 ; page 236 : « vidit in sompnis montem excelsissimum esse constitutum in medio sue regionis Britannie, id est in umbilico, per quem ambulandi callis difficilis inveniebatur. Et ibi, in cacumine montis ipsius in cathedram eburneam seipsum consedentem. Et in conspectu ejus erat stans postis mire magnitudinis in modum columpne rotunde, radicatus radicibus in terra, firmatis ramis in celo, cujus hastile rectum a terra pertigebat celo tenus. »).
Il est intéressant de noter qu’un texte
irlandais, la Veillée de Fingen, conservant d’importants
motifs cosmogoniques, signale, parmi les «merveilles»
apparues suite à la naissance du futur haut roi Conn, d’abord
le surgissement d’un fleuve, la Boyne, du puits de Nechtan -
nous y reviendrons -, puis un arbre, évidemment l’arbre du
monde, aux abondants fruits et ayant survécu au déluge,
puis l’apparition de Fintan, homme immortel et protéiforme,
suivi des talismans des dieux, et enfin, avant de s’intéresser
plus spécifiquement aux hommes, cinq routes, qui partagent
l’Irlande et arrivent à Tara, centre sacré de l’île. Or l’Irlande
était anciennement divisée en cinq parties, une centrale et
quatre périphériques, à chaque orient.
(Patrice Lajoye, L'arbre du monde - la cosmologie celte)
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