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Le néodruidisme « n’a absolument rien à voir avec les pratiques antiques »

Grégory Moigne a soutenu, ce lundi 6 février 2023, à Brest, sa thèse pour l’obtention du titre de docteur en études celtiques de l’Université de Bretagne Occidentale, titrée : « Le druidisme en Bretagne : militantisme celtique, spiritualité païenne et naturalisme holistique ».

La conclusion des sept années de recherches de ce brittophone chevronné ? Le néodruidisme « est une invention moderne », qui « n’a absolument rien à voir avec les pratiques antiques, même dans ses cérémonies ». Il incorpore par contre toutes sortes de modes contemporaines, telles que « le new-age, le néochamanisme, le développement personnel et le bien-être » (source : interview Le Parisien du 06/02/2023).

Au cours de son enquête, il a pu rencontrer le groupe nommé « Gorsedd de Bretagne » (dont les membres sont régulièrement présentés comme des « druides » par la presse régionale et locale), ainsi que d’autres groupes néodruidiques bretons, y compris en participant à leurs cérémonies. Il a également rencontré les responsables des plus anciens groupes néodruidiques britanniques, ceux qui sont à l’origine du néodruidisme breton : le Gorsedd du Pays de Galles, ainsi que le « Druid Order ». Les données collectées, recoupées avec les archives de l’Université de Dublin, du Pays de Galles, et du Centre de Recherche Bretonne et Celtique (CRBC), lui ont clairement permis non seulement d’établir l’absence de filiation entre les druides antiques et les différents groupes néodruidiques modernes (nés au 18e siècle en Grande-Bretagne), mais aussi de démontrer que les idées et pratiques de ces groupes ne se basent pas sur une étude approfondie de ce qui est connu des religions celtiques pré-chrétiennes.

Il existe cependant aujourd’hui, bien qu’il s’agisse d’un phénomène nettement plus minoritaire que le néodruidisme, des tentatives de résurgence de la religion celtique, sous une forme clanique traditionnelle, en puisant aux vraies sources de la tradition celtique.

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En avel a-benn (Par vent contraire) [Denez PRIGENT]

EN AVEL A-BENN

En avel a-benn ni ‘ziwano,
Ni a gresko, ni a zesko.
En avel a-benn ni a c’hlazo,
Ni a vrousto, ni a vleunio.
En avel a-benn ni ‘weñvo,
Ni ‘zisec’ho ha ni ‘gollo.
En avel a-benn ni ‘ouelo,
N’eus forzh ni ‘gendalc’ho atav !


En avel a-benn ni ‘goshaio,
Ni ‘galedo, ‘n em zifenno.
En avel a-benn ni a frouezho,
C’hoazh hag adarre, diarzav.
En avel a-benn ni ‘hado,
Ni ‘eosto ha ni ‘drec’ho.
En avel a-benn ni ‘gano,
Ha tu an avel ni ‘cheñcho !

(Denez Prigent)

PAR VENT CONTRAIRE

Par vent contraire nous germerons,
Nous croîtrons, nous apprendrons.
Par vent contraire, nous verdirons,
Nous bourgeonnerons, nous fleurirons.
Par vent contraire, nous nous fanerons,
Nous nous dessécherons et nous perdrons.
Par vent contraire nous pleurerons :
Peu importe, nous persévérerons toujours !


Par vent contraire nous vieillirons,
Nous durcirons, nous nous défendrons.
Par vent contraire, nous fructifierons,
Encore et toujours, sans relâche.
Par vent contraire nous sèmerons,
Nous moissonnerons et nous vaincrons.
Par vent contraire nous chanterons,
Et le sens du vent, nous le changerons !

(Denez Prigent)

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Le paganisme celtique du Barzhaz Breizh (I : les serments)

Le Barzhaz Breizh (« bardit de Bretagne ») est un recueil de chants bretons collectés au XIXe siècle par le marquis Théodore Hersart de la Villemarqué (Kervarker, en breton). L’authenticité de ces chants a longtemps été mise en doute, polémique entretenue par le fait que le marquis, vexé, avait refusé de montrer ses carnets de collectage. La thèse doctorale de Donatien Laurent, spécialiste de la littérature orale bretonne ayant eu accès aux fameux carnets grâce à l’arrière-petit-fils de Théodore, a tranché la question. Ce sont des chants authentiques, qui semblent simplement avoir été compilés et corrigés en assemblant plusieurs versions incomplètes.

Outre leurs qualités poétiques et musicales (louées par Georges Sand et par le mouvement culturel breton), on y trouve de nombreux exemples de ce qui semble être des survivances du paganisme celtique des Bretons de l’Antiquité : hymnes rituels, voeux, serments sacrés, prophéties, fragments de mythes, recommandations de bon comportement avec les génies locaux, etc.

Le Barzhaz Breizh, édition Coop Breizh.

Chacune de ces catégories fera l’objet d’un article à part. Commençons aujourd’hui avec les serments. Pour rappel, la parole donnée est un des fondements indispensables des religions et des sociétés celtiques païennes (comme c’est le cas, plus largement, dans l’ensemble du monde indo-européen païen). Le serment est ce qui fonde toute relation harmonieuse entre les personnes et entre les communautés. Le parjure se diminue donc lui-même, en détruisant son honneur et sa parole, c’est-à-dire la force sacrée qui l’habite… Mais, pire encore, en créant le doute par rapport à la valeur des serments, il fragilise aussi la société et l’ordre cosmique tout entier, en les faisant retourner vers le chaos primordial, avant que celui-ci ne soit organisé par les dieux des Celtes. Tout serment a donc une valeur sacrée dans la religion celtique.

Venons-en à présent aux chants du Barzhaz Breizh qui contiennent de tels serments. Ils sont au nombre de deux : « le tribut de Nominoé » (Drouk-kinnig Nevenoe) et « le Faucon » (ar Falc’hun).

Drouk-kinnig Nevenoe, chanté par Yann-Fañch Kemener avec l’accent du pays vannetais

Premier extrait : Le tribut de Nominoé (II, §21-22). « Je le jure par la tête de ce sanglier, et par la flèche qui l’a percé ; avant que je lave le sang de ma main droite, j’aurai lavé la plaie du pays ! » (Me hen toue penn ar gouez-mañ, / Hag ar saezh a flemmaz anezhañ, / Kent ma gwalc’hin gwad va dorn dehoù, / Am bo gwalc’het gouli ar vro !)

=> Ce chant a pour contexte la Bretagne du IXe siècle. Les chefs bretons avaient accepté de verser à l’empereur franc Charlemagne un tribut annuel en pièces d’or, en échange du maintien de leur indépendance. Sous le règne de son descendant Charles le Chauve, un noble breton nommé Nominoé (Nevenoe) est chargé d’empêcher les raids de guerriers bretons contre les territoires francs, et de veiller au bon paiement du tribut annuel. Il acquiert donc un certain pouvoir en Bretagne, prenant le titre de comte des Bretons. Une année, Karo, le fils d’un ozac’h meur (chef de clan) des Monts d’Arrée, va porter le tribut dans la ville de Rennes, mais le poids d’or n’y est pas, et l’intendant franc lui coupe la tête pour « faire le poids ». Le vieux père de Karo est fou de douleur, et se présente dans la demeure de Nominoé, réclamant vengeance pour ce crime. Nominoé rentre à ce moment de la chasse, une tête de sanglier à la main, et prononce ces mots. Ayant tenu « ce serment terrible et sanglant » et « lavé la plaie du pays » en menant une guerre victorieuse pour chasser les Francs, il deviendra le premier roi de toute la Bretagne armoricaine, et sera surnommé Tad ar Vro, le Père de la Patrie.

D’une certaine manière, c’est le fait d’avoir démontré la valeur de sa parole qui lui a permis, en prouvant et en augmentant la force sacrée qui l’habitait, de devenir le pilier d’un nouvel ordre social dont il a garanti et incarné l’harmonie et la robustesse… comme le faisaient les rois celtes païens de l’Antiquité. De la même manière, ceux qui veulent aujourd’hui faire renaître les traditions celtiques devront s’appuyer sur la valeur sacrée du serment pour structurer leurs communautés, car sans communautés les rites ancestraux n’ont ni sens ni valeur. Tout particulièrement, il est vital que des meneurs engagent leur personne et leur force sacrée en proclamant publiquement leur volonté d’accomplir des faits dignes de louange, et surtout en réalisant concrètement ces projets. C’est de cette manière qu’ils pourront être de véritables « piliers de la communauté », et faire rayonner pleinement le potentiel de notre religion celtique, qui est de relier à la fois les humains aux dieux et les humains entre eux.

Nominoé prête serment. Illustration de John Tenniel pour Ballads of Britanny (1865).

Deuxième extrait : Le faucon (v. 23-24 et 33-36). « Je ne payerai pas, je le jure par les charbons rouges de ce feu, par saint Cado et par saint Jean ! […] – Avant le jour ils auront querelle et bataille ! Nous le jurons par la mer et la tonnerre ! Nous le jurons par la lune et les étoiles ! Nous le jurons par le Ciel et la Terre ! » (Na rin ket m’hen toue ruz-glaou-tan, / Sant Kadoù kerkoulz ha Sant Yann ! […] – Kent an deiz kavfont trouz ha kann, / Nini hen toue mor ha taran ! / Nini hen toue stered ha loar ! / Nini hen toue neñv ha douar !)

=> Ce chant a pour contexte la Bretagne du XIe siècle. L’intendant du royaume, un Normand nommé par Edwige de Normandie (veuve du duc Geoffroi Ier de Bretagne et soeur du duc Richard de Normandie), a levé des taxes injustes et contraires à la coutume, affamant le peuple breton pour s’enrichir. Les paysans, outrés par cet affront à la tradition et bien décidés à ne pas laisser leurs familles mourir de faim, se soulèvent avec une violence telle qu’un édit ducal encadrera sévèrement les modalités de fixation et de collecte des taxes. Ces libertés concrètes du peuple breton seront âprement défendues par la suite, jusque dans les termes négociés par la duchesse Anne de Bretagne au moment de l’union du duché de Bretagne et du royaume de France. Le non-respect de ces clauses par Louis XIV provoqua la première révolte des Bonnets Rouges en 1675. Lorsque le régime républicain refusa de les reconnaître, les considérant comme des « privilèges », le peuple breton prit à nouveau les armes, lors de la longue guérilla de la Chouannerie (1791-1805, avec des actions ponctuelles jusqu’en 1813, et de nouvelles insurrections en 1815 et 1832). C’est aussi le non-respect de ce principe qui sera la cause de la deuxième révolte des Bonnets Rouges en 2013-2014, aboutissant au retrait de la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises, dite « éco-taxe », qui avait été imposée sans consultation du peuple breton.

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« Ar Bonedoù Ruz », une pièce écrite par Goulc’han Kervella pour le théâtre Ar Vro Bagan

Pour revenir au serment en question : il concerne donc des paysans luttant pour leurs coutumes ancestrales et la survie de leurs familles. La victoire est à portée de main, mais seulement si tous s’unissent pour prendre les armes, et si personne ne fait défaut en rentrant chez lui face aux hommes d’armes envoyés pour les mater. En prêtant serment, ils s’engagent donc à ne pas trahir leurs compagnons de lutte, et créent une confiance mutuelle basée sur un lien sacré qui les rend invincibles. Les éléments (la mer et le tonnerre, la lune et les étoiles, le ciel et la terre) sont invoqués de manière poétique et saisissante, comme dans un serment païen de l’ancien temps, par exemple dans ce serment irlandais, ou dans le serment des jeunes éphèbes athéniens qui s’engageaient à défendre la terre de leurs pères, les armes à la main (condition indispensable de la citoyenneté, donc de la démocratie).

Sont invoqués aussi dans ce serment : Saint Cado, Saint Jean, et les braises du feu autour duquel les paysans sont assemblés dans la nuit. Saint Cado (vieux-breton Catuog, qui signifie « le combatif ») est le saint patron des lutteurs ; d’ailleurs son pardon, sa fête annuelle, célébrée à Gouenac’h aux alentours de l’équinoxe d’automne, comporte un tournoi de lutte traditionnelle bretonne (gouren). Quant à Saint Jean, il est fêté au moment du solstice d’été par un grand feu de joie (tantad, littéralement « feu-père »), apparenté au feu sacré irlandais de Bealtaine ou à un autre rite spécifique au solstice d’été. Le serment, prononcé sur ce feu sacré rassembleur, place donc ceux qui le prêtent en lien intime à la fois avec les forces cosmiques (mer et tonnerre, lune et étoiles, ciel et terre) et avec leurs camarades de lutte. Jusqu’à ce que la tradition soit rétablie dans son bon droit, jusqu’à ce que l’ordre social redevienne aussi harmonieux que l’ordre naturel dans lequel il doit se placer.

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Tournoi de la Saint Cadou (2013), rituel de la prestation de serment. Photographie : Eric Legret.

Pour conclure, rappelons-nous que, puisque le temps des serments sacrés et héroïque n’a pas cessé à la christianisation mais a perduré pendant tout le Moyen-Âge, il peut donc perdurer aussi ici et maintenant – à condition que nous prenions notre destinée en main, pour aligner nos actes à nos paroles, et nos paroles à nos pensées. Bretons, Celtes, Européens : le temps des serments n’appartient pas au passé ! Il appartient à ce que la tradition a de plus sacré, à ce qui ne passe jamaispour peu que nous ayons le courage d’être des hommes et des femmes dignes de nom.

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Kroaz Du (étendard médiéval de la nation bretonne) pavoisé aux abords d’un tantad (feu de la Saint Jean).
Crédit photo : Kadmael ar Bleiz.

(pour comparaison, des exemples de serments en vieil irlandais : https://www.sengoidelc.com/category/oaths/)

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L’espace sacré dans la tradition celtique

Contribution du clan Beltan au projet « Paroles de druides », thème n°2.

Entre-temps est paru la brillante synthèse de Matthieu Poux (le chercheur français le plus en pointe en archéologie religieuse celtique) : Définition et fonction de l’espace consacré en Gaule indépendante.

I) Préliminaires

L’espace sacré est un des principaux éléments du rite, qui est la rencontre d’un moment, d’un lieu, d’une assemblée, et d’une liturgie. Le lieu a ceci de particulier que, contrairement aux autres éléments, il subsiste entre les rites, et doit être maintenu en état.

Les lieux sacrés sont donc d’abord ceux que la tradition nous prescrit de respecter et de protéger : sanctuaires antiques (Indiculus Superstitionum Et Paganiarum, IV ; J.-L. BRUNAUX, Les religions gauloises), sources et fontaines (ISEP, XI ; J. LACROIX, Le celtique dēvo- et les eaux sacrées), pierres levées (ISEP, VII), bois et arbres sacrés (ISEP, VI ; MAXIME DE TYR, Dissertations, VIII, 8 ; E. ASTIER, La sacralisation de l’espace par le centre dans l’idéologie celtique), sépultures des ancêtres (ISEP, I & XXV)… Pour la survivance de la sacralité de ces lieux, on peut consulter les ouvrages de Dominique Camus, comme Tombes guérisseuses, arbres à souhaits et lieux sacrés en Bretagne ; on trouvera aussi, dans de nombreux cas, des indices concernant la christianisation de lieux de culte celtique sous le vocable d’un saint catholique auquel sera dédié la chapelle, église, ou cathédrale (P. WALTER, Saint-Corentin et l’anguille de la fontaine ; D. GRICOURT & D. HOLLARD, Les saints jumeaux héritiers des dioscures celtiques : Lugle et Luglien et autres frères apparentés ; P. LAJOYE, Raven et Rasiphe : des jumeaux mythologiques ?). A ces lieux sacrés traditionnels, il faut ajouter l’autel domestique et, de manière élargie, la demeure et son terrain (ISEP, XVII & XXIII & XXVIII), ainsi que, le cas échéant, le sanctuaire dans lequel un groupe contemporain célèbre ses rites.

On notera que les religions abrahamiques n’ont en général pas d’espace sacré à la base. Le judaïsme en a un seul, le Temple de Jérusalem, dont la destruction a donné une place un peu plus importante aux lieux de rassemblement et d’enseignement, les synagogues. De même, l’islam n’en a qu’un, la Mecque, reprise directe de ce sanctuaire païen arabe ; les mosquées sont essentiellement des lieux de rassemblement et des « collecteurs » qui canalisent les prières vers la Mecque, dont la direction est toujours indiquée par un minbar. Quant au christianisme, il n’a à l’origine pas d’espace sacré, et ne développera que plus tard le recueillement sur les sépultures des martyrs, puis la transformation de sanctuaires païens en cathédrales, églises et chapelles. Les formes de christianisme et d’Islam qui recherchent un retour à leur pureté originelle (protestantisme évangélique, Témoins de Jéhovah, Frères Musulmans, salafisme) sont d’ailleurs fermement opposées aux espaces sacrés, hérités des religions païennes.

Au contraire, les religions traditionnelles ont un rapport à l’espace qui ancre localement le sacré. Chaque espace sacré possède une sacralité qui lui est propre, et n’est pas qu’un portail vers un Sacré unique, et encore moins un simple lieu conventionnel de rassemblement des fidèles. Le lieu fait partie intégrante du rite en modulant l’expression de la liturgie ; et, inversement, le rite va entraîner une modification du lieu, en l’aménageant de manière à ce que la liturgie puisse s’y dérouler, en y laissant des offrandes votives, et enfin en chargeant le lieu de puissance sacrée. C’est la raison pour laquelle un endroit récemment consacré est moins puissant qu’un sanctuaire antique dans lequel des rites ont été régulièrement célèbrés pendant des siècles, voire des millénaires, et c’est aussi la raison pour laquelle célébrer ses rites en un lieu donné leur confère davantage de force que de changer de lieu à chaque fois.

[Puisque nous parlons « d’espace sacré », il peut être important de faire une courte digression concernant le « sacré » celtique. Il s’agit en réalité de deux concepts différents, bien que reliés. Comme souvent, seul l’irlandais a conservé les deux termes : noíb (gaulois noibos, gallois nwyf, breton *noav) et síd (gaulois *sedos ou *sedon, gallois hedd conservé dans le sens de « paix, repos », breton *hez conservé sous la forme du forme du verbe désuet hezañ = « cesser, être en paix, demeurer »).

Le noibos vient d’une racine signifiant aussi « brillant, éclatant », et son descendant gallois nwyf a le sens de « vigueur, passion ». En irlandais, il a gardé le sens de « sacré », et a été utilisé pour traduire le terme chrétien de « saint ». C’est l’équivalent du grec ancien hieros ou du germanique *hailaz : une force vitale qui circule entre les lieux de ce monde et avec les autres mondes, entre les humains et avec les dieux, ancêtres et génies. Chaque endroit a donc plus ou moins de sacralité noibos selon les moments et selon les rites qui s’y déroulent.

Le sedos, au contraire, est presque littéralement une « demeure », si ce n’est un « lieu de repos ». C’est un lieu qui est séparé de l’activité humaine et profane : il est dédié à une divinité, et devient sa propriété exclusive à tous points de vue, à tel point qu’il ne fait même plus partie du monde des mortels. C’est l’équivalent du grec ancien hagios ou du germanique *wihaz. Un endroit donné n’est pas plus ou moins sedos : il l’est complètement ou ne l’est pas. Selon les moments, toutefois, le ou les habitants du sedos peuvent permettre à certains humains d’y pénétrer, ou au contraire l’interdire strictement.]

II) Les différents espaces sacrés

Chaque endroit possède son génie (boudig en breton), qui est d’une nature différente en fonction du lieu : génie des bois, des pierres, des eaux. Certains génies sont portés à poser des problèmes aux humains même bien intentionnés, ce sont les duses (gaulois dusios, breton duz ou diminutif duzig). Les génies aquatiques, généralement féminins, sont présents dans tous les plans d’eaux, mais celles des sources sont les plus honorées, en particulier lors de la fête de lustration hivernale nommée Imbolc en Irlande. Quant aux génies des pierres levées, les « nains » (gaulois *corros, breton korr ou diminutif korrigan) ils habitent les sites mégalithiques : contrairement à une idée courante , ces « espaces sacrés » ne sont pas les principaux lieu de culte celtique. On peut y faire des offrandes pour la fertilité de la terre et des gens, mais uniquement en-dehors des grandes fêtes calendaires, en particulier des plus importantes, où les frontières qui séparent notre monde de l’autre monde s’estompent (celles que les Irlandais nomment Samhain et Beltaine, respectivement Kala-Goañv et Kala-Hañv en breton).

Les rites calendaires dédiés aux dieux célestes ont lieu dans un sanctuaire (gaulois nemeton, breton neved) qui est le principal espace sacré de la religion celtique. Les plans de ces nemeta sont à présent connus par les fouilles archéologiques (J.-L. BRUNAUX, Les religions gauloises). Comme leur construction, même à petite échelle, nécessitent un certain investissement en temps, en argent, et la propriété du foncier, les rites peuvent également se célébrer autour du foyer domestique. Il s’agit de l’espace sacré des rites quotidiens, qui est seulement second en importance derrière le sanctuaire collectif. Un petit autel suffit à disposer d’une bougie, d’un encensoir, d’un bol d’eau pour les purifications, d’un bol à offrandes, et le cas échéant de symboles des entités honorées : génie du foyer, ancêtres, et divinité(s) tutélaire(s) de la famille.

Nemeton Berularias

Le Nemeton Berularias, desservi jusqu’en 2017 par Matolitus de la Celtiacon Certocredaron Credima.

Il faut également évoquer un troisième type de sanctuaire, qui n’est ni celui des druides (première fonction indo-européenne), le nemeton, ni celui des gens du commun (troisième fonction indo-européenne), le foyer. C’est celui des nobles et guerriers (deuxième fonction indo-européenne), désignés par César (Commentaires sur la guerre des Gaules) sous le nom de « chevaliers » (equites). De grands enclos ont été retrouvés dans divers endroits en Gaule, avec pour seules traces archéologiques des restes très conséquents de nourriture festive (amphores contenant des boissons alcoolisées, ossements d’animaux abattus pour leur viande) ou d’ustensiles alimentaires, déposés au même moment, en quantités très importantes, et souvent triés par types. Cela fait écho à plusieurs textes classiques (Posidonius d’Apamée à propos du prince Luern, Phylarque à propos d’un certain chef celte nommé Ariamnès) et irlandais (par exemple le Festin de Bricmiu) décrivant explicitement de grands festins à but autant socio-politique que sacré, donnés par des chefs importants (M. POUX, Espaces votifs – espaces festifs. Banquets et rites de libation en contexte de sanctuaires et d’enclos). Il s’agit là de la confirmation qu’il a existé chez les Celtes des lieux dédiés à un rite aristocratique, celui du banquet rituel (gaulois ulidos, breton perunvan *glez / breton vannetais gloé / vieux breton gluet, gallois gwledd, vieil irlandais fled), rite qui était commun avec le reste de l’Europe (vieux norrois sumbl, grec ancien symposion).

III) Les différentes échelles

Pour finir, il faut également prendre en compte le fait que « l’espace sacré » se conçoit également, d’un point de vue celtique, à un niveau plus large, celui de la géographie. Le territoire de chaque peuple est délimité par une frontière qui est analogue aux limites qui caractérisent l’espace sacré du sanctuaire ou du domaine familial (V. RAYDON & C. STERCKX, Saint Goëznou et la fourche du Dagda), et cette frontière est parsemée de lieux de la forme *icuoranda ou *egoranda (P.-Y. LAMBERT, Dictionnaire de la langue gauloise ; J. LACROIX, Les noms d’origine gauloise). Au milieu, en tout cas géopolitique, de ce territoire se trouve un sanctuaire lié au rites de royauté, par exemple Tara en Irlande (E. ASTIER, La sacralisation de l’espace par le centre dans l’idéologie celtique), à partir duquel plusieurs secteurs sont découpés, reliés par ce centre sacré. Ces secteurs sont originellement au nombre de quatre, chacun orienté vers un point cardinal ; l’ancienneté de cette division en quatre est renforcée par le fait qu’elle n’est pas attestée qu’en Irlande, mais aussi dans plusieurs textes indo-iraniens (G. DUMEZIL, Mythe et Épopée vol. 2). Aujourd’hui encore en Bretagne, le grand pèlerinage circulaire du Tro Breizh continue à faire vivre cette ancienne coutume de la circumambulation, transposée du sanctuaire (parcours de circumambulation attestés dans de nombreux fanum gallo-romains, équivalents aux espaces dédiés à cette pratique en Inde, où elle est nommée pradakshina) au pays dans ses anciennes frontières (B. RIO, Les Sept Saints). On notera également, comme intermédiaire au niveau local, la procession circulaire de 12km de la Grande Troménie de Lokorn / Locronan, qui fait tous les 7 ans le tour du bois de Neved (gaulois nemeton).

IV) Les espaces sacrés du clan Beltan

Nous nous réunissons fréquemment dans un bois dédié par sa propriétaire aux cultes païens. Nous y avons aménagé une clairière, au centre de laquelle un trou a été creusé à Samonios et consacré comme le centre de notre monde, avant qu’un grand tronc n’y soit érigé. C’est ici que nous faisons nos offrandes aux génies de la forêt quand nous arrivons. Autour du feu où nous nos asseyons pour festoyer, se trouve un poteau qui est arrosé d’une libation en l’honneur des divinités de notre clan. Nous plaçons également une part de viande dans le feu, pour nos ancêtres qui sont invités à partager ce banquet avec nous.

Non loin de là, dans ce même bois, se trouve un santuaire-sedos, consacré par un aspirant druide de la Celtiacon Certocredaron Credima. Il est dédié à Cernunnos, qui est vraisemblablement à l’origine du nom du village situé à proximité du bois, sous une forme latinisée et christianisée. Nous n’y pénétrons que pour l’honorer spécifiquement, et nous retirons ensuite dans notre clairière pour les libations et le repas.

Lors de la fête d’Imbolc / Kala-C’hwevrer, nous avons aussi pour coutume d’aller faire une offrande à Sequana.

Ces éléments ont seulement valeur d’exemple, étant donné qu’ils reflètent à la fois notre évolution vers des pratiques plus authentiques, et le changement progressif du centre de gravité géographique du clan, initialement à Lutèce et à présent de plus en plus à l’ouest.

V) Conclusion

Pour résumer cet exposé quelque peu tortueux :

* Le lieu est un des éléments indispensables du rite

* Notre premier devoir vis-à-vis d’un espace sacré est son respect et sa préservation

* Tout espace est plus ou moins sacré dans le sens du noibos (énergie sacrée), mais certains espaces sont sedos (dédiés à une entité et n’appartenant pas au monde des humains)

* Les rites quotidiens se pratiquent auprès de l’autel domestique, et les rites ponctuels près d’un lieu sacré (source, arbre sacré, pierres levées, sépulture, …)

* Le rite aristocratique / guerrier du banquet se pratique normalement dans des enclos spécifiques

* Les grands rites annuels ont normalement lieu dans un nemeton permanent, aménagé et consacré

* Les espaces sacrés sont organisés autour d’un centre, de portions (canoniquement 4, orientées aux points cardinaux), et de limites bien définies. Ils s’emboîtent les uns dans les autres : domaine familial, ville ou village, terroir, nation

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Dem Gott Ingwin (FR : Au dieu Ingwin)

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Yngvi-Freyr

 

Salut à toi, ô Ingwin, fils de Nerde,

Géniteur de grandes lignées !

 

On dit qu’il est bon de t’invoquer

Pour la fertilité de la terre

Comme pour celle des humains.

 

Il y a trois années de cela,

Lors de la fête des moissons

Qui fut célébrée en ton honneur,

Au sein d’un foyer ami

Qui m’avait offert l’hospitalité

Sur la terre lointaine de Weinland,

Je t’ai fait cette promesse :

Un plein fût de bière de mon pays,

Si jamais tu exauçais le souhait

Que je venais de formuler.

 

Toi, le plus renommé des dieux,

Puissant et de beau visage,

Tu as été généreux pour les miens.

 

Aujourd’hui, en ce lieu sacré

Que fréquentent les elfes,

Tandis que nous célébrons enfin

La fin de longues moissons,

Reçois le premier fût de mon foyer ;

Et puisse ce doux breuvage,

Brassé avec joie par notre famille,

Fermenté sur ma terre natale,

Te réjouir comme Albenheim

Que tu reçus comme présent

Pour ta première dent.

 

Lenn er lost

 

(Les noms propres sont sous leur forme haut-allemande.

Ingwin = vieux-norrois Yngvi-Freyr

Nerde = vieux-norrois Njörðr

Weinland = vieux-norrois Vinland

Albenheim = vieux-norrois Alfheimr)

 

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Pourquoi notre terre s’appelle Breizh

« Que veux-tu savoir, mon enfant, avant d’aller dormir ?

– Tadig, pourquoi est-ce que notre pays s’appelle Breizh ?

– Il y a très longtemps, sur la vaste terre de Ledav, entourée par l’eau salée du Meurvor, la grande mer, vivaient de nombreux humains. Ils étaient nommés selon la langue qu’ils parlaient. Au nord, dans les terres froides, les Germaned. Au sud, dans les terres chaudes, les Romaned. A l’ouest, près des rives du Meurvor, les Kelted. Trois frères étaient leurs rois : Gall, Gouezel, et Bruzh. Gall était l’aîné, il possédait tant de terres et de richesses que le pays des Kelted prit son nom, et fut nommé Bro C’hall. Ses deux frères, Gouezel et Bruzh, décidèrent donc de partir chacun à la recherche de nouvelles terres. Bruzh prit la mer avec ses hommes et ses trois fils : Loagren, Kember, et Albanaezh.

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Au Kalan Hañv, le premier jour de l’été, ils arrivèrent en vue d’Enez Wenn, l’île blanche, qui porte ce nom à cause de ses falaises blanches battues par les flots. Sur Enez Wenn vivaient les Tud Don, le peuple de la déesse Don, venu des quatre îles au nord du monde, et maîtrisant la magie druidique. Les Tud Don firent d’abord bon accueil à Bruzh, mais lorsqu’ils comprirent qu’il voulait gouverner l’île, ils le tuèrent. Devant la fureur de ses hommes, pour éviter une guerre meurtrière, ils proposèrent un pacte à ses trois fils : chacun aurait une part de la surface de l’île, tandis que les Tud Don se retireraient dans les sezioù, des mondes à part où le temps s’écoule autrement. Ils sont situés au-delà de la mer, sous les lacs, et aux endroits où se dressent des pierres magiques.

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(C) Simon Wakefield

Enez Wenn fut donc renommée Breizh, en l’honneur de Bruzh, et ses habitants devinrent les Breizhiz. Loagren reçut le royaume de Loagre, le plus vaste ; Kember reçut le royaume des collines de Kembre à l’ouest ; et Albanaezh reçut le royaume d’Alba au nord. Un fidèle ami de Bruzh, Kerene, reçut en récompense le pays de Kernev, au sud-ouest du royaume de Loagre. Toutefois, les humains dûrent s’engager à ne pas perturber les sezioù, et à se rappeler tout au long de l’année du pacte qui venait d’être conclu. Pour cela, les Tud Don emmenèrent certains humains sur la petite île d’Enez Mon, non loin des côtes de Kembre, et leur enseignèrent l’art magique du druidisme, pour qu’ils apprennent à célébrer les sperednozioù, les grandes fêtes sacrées. Elles sont au nombre de quatre : Kalan Goañv, qui marque le début de l’hiver ; Kalan C’hwevrer, qui marque le milieu de l’hiver ; Kalan Hañv, qui marque le début de l’été ; et Kalan Eost, qui marque le milieu de l’été. Cet art du druidisme, les Breizhiz le partagèrent avec les sujets de Gall restés sur le continent, et avec ceux de Gouezel. Grâce à cela, Gouezel prit la mer avec ses hommes, et arriva avec ses navires sur Enez C’hlas, l’île verte. Il en prit possession, la nomma Iwerzhon, et fit célébrer par ses druides les quatre sperednozioù, qui prirent là-bas le nom de Samhain, Imbolc, Beltaine, et Lughnasad.

Les années passèrent, et les siècles passèrent eux aussi. Le peuple des Romaned arriva du sud de Ledav, dirigé par l’ambitieux général Kaesar, et soumit par les armes les différents peuples gouvernés par les enfants de Gall. La cité de Kêr Wened en Arvorig, non loin de Breizh, avait des liens d’amitié avec les habitants de Kembre. Quand Kaesar s’empara de l’Arvorig, des Gwenediz s’enfuirent en Kembre, et y fondèrent le royaume de Gwened. Mais Kaesar se lança ensuite à la conquête de Breizh, et ses légions s’emparèrent du royaume de Loagre, puis de Kerne et de Kembre. De nombreux druides furent massacrés sur l’île sacrée d’Enez Mon.

Rapidement, pour éviter les révoltes incessantes, les Romaned prirent le parti de donner la citoyenneté de leur empire aux chefs des Breizhiz, puis à tous les guerriers qui s’engageraient dans leurs armées, les légions. Ils manquaient en effet d’hommes pour se protéger des habitants du royaume d’Alba au nord, des pirates de l’île d’Iwerzhon à l’ouest, et des Germaned en Lidav, qui menaçaient les frontières du Bro C’hall. Des Breizhiz revinrent sur le continent, en Arvorig, pour la défendre les côtes des pirates qui menaçaient ses côtes. Menés par un chef du nom de Konan Meriadeg, les Breizhiz se rendirent maîtres de la région d’Arvorig et bientôt devinrent si nombreux qu’on nomma cette terre Breizh Vihan, la Petite Bretagne, et l’île de Breizh fut appelée Breizh Veur, la Grande Bretagne.

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Plusieurs royaumes furent fondés en Breizh Vihan. Au nord-ouest, le Bro Leon, ainsi nommé parce que c’est là que se trouvaient les légions, ce pays fut placé sous la protection du Lion du Leon, al Leo Leon. Au nord-est, le Bro Devnon, ainsi nommé parce que ses habitants venaient du royaume de Devnon aux sombres vallées, en Breizh Veur ; plus tard, trois armées s’y affrontèrent, et il fut renommé Treger, pays des trois armées : ce pays fut placé sous la protection du Dragon du Treger, an Drag Bro Dreger. Au sud-est, le Bro Wened, ainsi nommé parce que la cité de Kêr Wened s’y trouvait depuis longtemps : ce pays fut placé sous la protection de l’Hermine Blanche de Gwened, an Gaerell-Wenn Bro Wened. Enfin, au sud-ouest, le Bro Gernev, ainsi nommé parce que ses habitants venaient du royaume de Kernev de l’autre côté de la mer, qui était comme une corne de Breizh Veur : ce pays fut placé sur la protection du Bélier Cornu de Kernev, ar Maout Kornek Kernev. Tels étaient les quatre royaumes de Breizh Vihan, et tels sont les quatre animaux qui les protègent aujourd’hui encore.

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Un jour, des pirates venus du pays des Germaned traversèrent la mer et envahirent Breizh Veur. Ils se nommaient les Saozon. Un dénommé Arzhur devint roi de tous les Breizhiz et mena contre eux de durs combats, armé de l’épée Kaledvoulc’h, la dure entaille, qu’il avait tirée d’un rocher. Mais il fut mortellement blessé par traîtrise, et emmené sur Enez Aval, l’île des pommes, d’où il reviendra un jour sur son cheval rouge, lorsque son peuple en aura le plus besoin. Les Breizhiz se replièrent vers le nord dans le pays du Gwalez Hen, le Vieux Nord, dans l’ouest en Kembre, et dans le sud-ouest en Kernev. Le royaume de Loagre reçut comme nouveau nom celui de Bro Saoz, le pays des Saozon.

En Ledav, les peuples frères des Saozon devenaient de plus en plus nombreux et audacieux. Ils s’emparèrent alors des terres des Romaned, puis de leur ville elle-même. Le roi du peuple des Franked, C’hlodwig, devint maître de tout le Bro C’hall, parce que ses habitants avaient oublié le druidisme quand ils avaient échangé la langue des Kelted pour celle des Romaned. Les Breizhiz ne voulurent pas se soumettre, et gardèrent les terres entre l’endroit où fleuve Kouenon se jette dans la mer au nord, et l’endroit où se jette le fleuve Gwilen au sud. A maint reprises, les rois des Franked tentèrent de conquérir Breizh, profitant des rivalités entre les petits royaumes. Mais un noble du Bro Wened, Nevenoe, finit par unir définitivement les forces des Breizhiz, et s’empara de toute l’Arvorig, avec les villes de Naoned et de Roazhon. Il est depuis nommé Tad ar Vro, père de la patrie, et son fils Erispoe fut couronné roi des Breizhiz.

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« Nevenoe », par Jeanne Malivel

C’est ainsi, mon enfant, que Breizh est devenu un autre pays que celui des Franked, que la terre d’Arvorig reçut ce nom à cause de ses nouveaux habitants venus de Breizh Veur, et que cette île passa sous la domination des Saozon. C’est aussi comme cela que les Breizhiz apprirent des Tud Don l’art du druidisme, venu des îles du nord du monde.

– Et pourquoi on a plus de roi en Breizh, alors ?

– Ce sera l’histoire de demain. Dors, maintenant, mon enfant ! »

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Pour ne pas perdre la tête, le retour aux sources !

Imbolc est une fête liée aux sources sacrées, vénérées depuis les temps anciens et intégrées dans le christianisme celtique. Le même phénomène s’est produit pour divers éléments des récits époques païens, qu’on retrouve dans les textes médiévaux du cycle arthurien.

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Source sacrée de Cefn Meiriadog (Pays de Galles)

Sire Gauvain et le Chevalier vert est un roman chevaleresque de la fin du XIVe. Anonyme, il raconte l’histoire d’un chevalier du roi Arthur, Gauvain, portant pour écu le pentacle magique. Au détour d’un chemin, il rencontre un étrange chevalier à l’armure verte, qui lui propose un défi. Gauvain peut, s’il le veut, lui porter un coup de hache à condition qu’un an plus tard, si le chevalier vert a survécu, il lui rende le même coup. Gauvain accepte et décapite le chevalier vert d’un seul coup. Mais ce dernier se relève, ramasse sa tête et lui rappelle sa promesse. Commence alors pour le chevalier de la Table Ronde une errance semée d’aventures qui le conduira à se laisser frapper au cou par le chevalier vert, comme il l’avait juré un an plus tôt.

Cette histoire rappelle le code moral qui était celui des chevaliers, notamment leur courage et leur parole, mais les met également en garde contre leur absence de prudence et leur arrogance. Elle est surtout inspirée d’un thème de la mythologie celtique, qu’on retrouve par exemple dans le Festin de Briciu en Irlande, où un géant propose ce type de pacte à trois guerriers qui se disputent la part du héros à un festin. Alors que les deux autres se défilent, Cuchulainn insiste pour respecter sa promesse, même devant le refus du géant. Celui-ci l’épargne en le frappant de l’autre côté de la hache, et le consacre comme le plus grand héros d’Irlande, le faisant ainsi accéder à l’immortalité par le biais de la gloire éternelle.

A un moment de son voyage, le chevalier Gauvain s’arrête dans un lieu saint relatif à la décollation qu’il a promis de subir : la source de sainte Winefride. Cette dernière était une noble galloise décapitée en 660 pour avoir refusé les avances de Caradog, qui voulait l’épouser alors qu’elle voulait se faire nonne. Une source jaillit à l’endroit de son supplice, qui est encore un lieu saint de nos jours sous le nom de St Winefride’s Well, à Holywell, dans le Flintshire au Pays de Galles.

Source

A cet endroit est une chapelle, lieu de pèlerinage gallois depuis des temps immémoriaux. Une église y fut construite tôt au Moyen-âge, mais c’est de la fin du XVe s. que date le bâtiment que nous voyons ici. De style gothique, il entoure l’exsurgence de la source sacrée qui, dit-on, est reliée à celle de St Mary’s Well à Cefn Meiriadog, dans le Denbighshire au nord du Pays de Galles.

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Si la chapelle de ce dernier lieu saint est totalement ruinée, celle de St Winefride’s Well évoque une forêt dense protégeant la précieuse source. En effet, les piliers de la chapelle sont traités comme des troncs d’arbres aux branches écotées et les nervures de la voûte, comme les ramifications de leurs cîmes. C’est comme si la nature était devenue art en ce lieu où le paganisme celtique est devenu catholicisme.

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Contribution de la page facebook « L’Art occidental » : https://www.facebook.com/LArt-occidental-969668349746851/?fref=ts. Vous souhaitez vous aussi partager vos traditions et faire rejaillir notre plus longue mémoire ? N’hésitez pas à envoyer vos contributions par commentaire, mail à chatporon@hotmail.com, ou pigeon voyageur !

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Aéroport de Notre Dame des Landes, un enjeu de société

Ce projet d’aéroport masque derrière des réalités économique et environnementale un réel changement de culture. Se pose en effet le choix entre deux mondes. D’une part celui tendant vers toujours plus de mondialisation, de croissance urbaine, fondé sur une vision du développement datée des trente glorieuses et visant à construire, s’étendre toujours plus. D’autre part la défense de notre maison commune, la préservation des modes de vie traditionnels, de l’ancrage local, de l’enracinement et quelque part de la décroissance au profit de la sauvegarde de notre modèle de société. En somme les tenants de la mondialisation désincarnée face aux défenseurs d’une société enracinée.

Il est amusant de voir toujours les mêmes « progressistes » soutenir l’aéroport au nom de la marche inéluctable du temps. Alors que ce sont les idées qui mènent le monde, les leurs semblent pourtant en décalage avec la tendance actuelle favorisant de plus en plus les circuits courts, la consommation bio et locale, et le développement durable. Nous y trouvons la petite et moyenne bourgeoisie de l’Ouest, soucieuse d’assurer le développement économique de la région, et dont les représentants des Républicains et du PS font cause commune pour défendre le projet coûte que coûte. Alors que la majorité des élus locaux, toutes tendances politiques confondues, soutiennent le projet, l’avis de la population est bien plus mitigé (les sondages indiquent mêmes qu’une large majorité de français y est opposée). Ecolos, Cathos (cf. l’appel des chrétiens contre NDDL), paysans, altermondialistes, gauchistes, conservateurs traditionnalistes s’unissent dans une légion tout aussi hétéroclite.

Source : Aéroport de Notre Dame des Landes, un enjeu de société

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Pourquoi « protéger la nature » est-il souvent perçu comme contraire à la modernité ?

La philosophie politique et sociale, tout spécialement celle qui est d’obédience libérale, estime que la modernité se caractérise par l’accès à un ordre social « autonome », régi par des lois qu’il se donne lui-même ; ceci à la différence des autres sociétés, qui sont réputées guidées par un ordre « hétéronome », sur lequel l’homme n’a donc pas de prise. On trouve par exemple cette thèse chez Luc Ferry (1992), Marcel Gauchet (1985) ou Louis Dumont (1977).

Que l’ordre des sociétés soit ancré dans la nature implique que l’homme se voit attribuer une nature, une identité, une « essence » fixe, dont il ne peut pas sortir. La source de cette fixité diffère d’une société à l’autre : culte des ancêtres, religion, ordre sacré, ordre hiérarchique des castes, etc. Avec la modernité démocratique la nature de l’homme est devenu un problème, quelque chose à quoi on admet ne pas avoir de réponse claire. C’est l’objet d’une recherche, d’une enquête, faite d’essais et d’erreurs, dans le domaine de l’organisation humaine comme dans celui de la transformation de la nature.

La « protection de la nature » réactive donc un dangereux principe prémoderne, qui vise à sacraliser la nature, et donc restreindre le pouvoir des hommes. […]

On ne peut « défendre la nature » sans lui attribuer une valeur, ou importance, or la valeur est la composante majeure du sacré. « Sauver la biodiversité » a bien un sens dès lors qu’une large fraction de celle-ci est en danger… et qu’en outre la perturbation massive des écosystèmes terrestres et marins fragilise les sociétés humaines qui en dépendent). Il s’agit bien de limiter le « droit à l’expérimentation », comme le prouvent les controverses autour du principe de précaution, entre les partisans de la géo-ingénierie et ceux qui considèrent que l’instrument est trop grossier, quand il est mis en regard de la fragilité de la biosphère. On a bien un problème de valeur, d’une part, et de droit à expérimenter, de l’autre.

Est-il antimoderne pour autant ? Pas forcément. Tout d’abord parce que « l’expérimentation » n’a pas de raison de prendre forcément la forme qu’elle a en physique, où l’on travaille sur des propriétés éternelles et immuables, indestructibles. Ensuite on peut retourner aux critiques leur propre argument, en pointant du doigt le caractère extrêmement limité du monde qu’ils nous offrent. En effet dans leur ordre tout est permis du moment que la « valeur ajoutée » – au sens économique

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Algues vertes (Finistère, 2009)

– augmente : voilà qui est extrêmement restrictif. N’est-ce pas la sacralisation d’une certaine essence de l’humanité ? Luc Ferry et Alain Renaut le reconnaissant, les institutions libérales qu’ils décrivent découlent de « l’affirmation de l’existence d’une nature humaine commune » (Ferry & Renaut, 2007 : 476). Ce peut aussi être un acte de la volonté que de déboulonner l’Homo economicus, et de montrer que sa rationalité, sous l’angle écologique, est irrationnelle. De montrer que ce à quoi il tient est absurde, que ce soit sous l’angle de la démocratie ou de l’universalité. Car l’humanité entière ne saurait parvenir à vivre comme les Occidentaux. 

Il est évident ici que l’auteur, fort de son titre de docteur ès philosophie et argumentant en faveur de la biodiversité à destination d’un public politico-scientifique bien placé, ne saurait poser un conflit irrémédiable entre protection de la Nature et modernité… et encore moins y prendre parti contre ladite modernité. Là où sa pensée est intéressante, c’est qu’elle met en lumière, d’un point de vue compatible avec la pensée occidentale contemporaine, le fait que l’idéologie libérale est bien une idéologie et non le point de vue objectif qu’elle prétend être. Son culte de la valeur ajoutée, adossé au mythe de la croissance économique infinie dans un monde fini, sont de purs dogmes qui s’avèrent en plus dangereux et mortifères.

Au contraire, nos traditions ancestrales portent en elles une profonde rationalité. Autant que nous pouvons, il convient donc pour le traditionnaliste actuel de marcher sur ses deux jambes : savoir plaider notre cause avec les mots de l’ennemi à l’intérieur-même de son système en utilisant ses contradictions, tout en pensant le monde avec nos propres concepts et échelles de valeur.

Pour lire l’intégralité de l’article de Fabrice Flipo sur le site de la Société Française d’Ecologie : http://www.sfecologie.org/regards/2014/10/14/r61-f-flipo-nature-et-modernite/

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Croire au village

Croire au village, c’est donner un sens à sa vie ; c’est savoir que les limites ont un sens, ou plutôt que rien n’a de sens sans elles. C’est un peu sot de s’imaginer que nous n’avons aucune raison d’être ici plutôt qu’ailleurs. Continuer nos pères, pour quoi faire ? Nous le savons très bien. Le cerveau comme la feuille ont besoin d’être rattachés à l’arbre, et l’arbre à ses racines. Un chez-soi bien assez vaste pour n’en jamais découvrir toutes les richesses. Pas de fuite en avant. Être à notre place, consentir à se fixer afin de ne pas faire comme si tout l’Univers nous était réservé. Soyons fiers de la vie que nous vivons ! Lucides en permanence sur nos droits et nos devoirs, n’ayons aucune pitié pour nous-mêmes si nous y manquons.

Refusons de nous éparpiller en colons envahissants.

Être des hommes qui regardent leur village avec une loupe pour en saisir la complexité infinie.

Rappelons-nous que ce monde a un sens.

(Chat Poron, parodié de Jules Renard)

Comme on dit en breton, « Kant bro, kant giz, da bep labous e gan, da bep pobl e frankiz ! » (cent terroirs, cent coutumes, à chaque oiseau son chant, à chaque peuple sa liberté). Chaque lopin de terre contient en lui tous les secrets de la nature pour peu de l’étudier assez, chaque langue et chaque culture permet d’exprimer son humanité pour peu de s’y plonger suffisamment, et chaque tradition religieuse contient en elle-même tout ce qui est nécessaire pour trouver sa place dans le cosmos.

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