La fantasy moderne est un genre littéraire assez en vogue dernièrement, particulièrement chez les personnes attirées par le (néo)paganisme. Pour être honnête, il est probable que la lecture du Seigneur des Anneaux à huit ans ait joué un rôle dans ma décision d’en apprendre plus sur les religions européennes pré-chrétiennes, puis d’essayer de les pratiquer de manière contemporaine. Mais, sur de nombreux points, la fantasy moderne a très peu à voir avec sa principale source d’inspiration, l’oeuvre de Tolkien… et donc sur la principale source d’inspiration de celui-ci, à savoir les mythes et épopées de l’Europe pré-chrétienne et/ou partiellement christianisée.
Les ressemblances superficielles entre la fantasy moderne et les religions européennes païennes, et le fait que la fantasy soit bien plus accessible et plus connue aujourd’hui, fait qu’une sorte de confusion a tendance à s’installer entre les deux. Les exemples les plus évidents concernent les Dieux, les Elfes, les Nains, etc, qui sont bien différentes dans les mythes et dans les oeuvres de fantasy (ces oeuvres elles-mêmes dérivent essentiellement de la manière dont les créateurs du jeu de rôle Donjons & Dragons se sont inspirés de l’oeuvre de Tolkien, pour créer un cadre de jeu où des aventuriers tuent des monstres pour trouver des trésors).
Mais l’exemple des Nains et des Elfes, parce qu’il est le plus évident, est aussi celui qui se corrige le plus facilement. Un exemple plus difficile est probablement celui de la « magie ». Il est difficile de trouver dans les langues européennes anciennes un mot qui signifie complètement et uniquement tout ce qu’on appelle aujourd’hui « magie » et seulement ce qu’on appelle « magie »… c’est-à-dire ce qui a d’abord été interdit par l’Eglise catholique, puis considéré par les milieux scientifiques comme inexistant. Ce qui est « scientifiquement inexistant » mais n’avait pas été interdit par l’Eglise, c’est de la « religion » ; ce qui a été interdit par l’Eglise mais n’est pas « scientifiquement inexistant » c’est du « simple péché », qui a été soit légalisé et socialement valorisé par antichristianisme, soit conservé dans la liste des interdits moraux présentés comme « laïcs ».
Il suffit de réfléchir quelques secondes pour se rendre compte que ces deux critères (interdit par l’Eglise puis considéré comme scientifiquement inexistant) sont totalement extérieurs à la manière européenne païenne de voir le monde. D’ailleurs le mot français « magie » vient du latin « magia » qui signifie simplement « les trucs bizarres qui viennent (ou qui sont censés venir) des pratiques des prêtres iraniens » (un « magush », en vieux persan, est un type de prêtre). Les pratiques magiques européennes n’étaient pas considérées comme étant de la « magia », même si pour être à la mode il arrivait de prétendre que telle ou telle pratique locale venait de Perse (un peu l’équivalent des faux initiés au bouddhisme ou au chamanisme qu’on trouve de nos jours).
Pareillement, en vieux norrois il est difficile de trouver un terme complètement équivalent au sens moderne du mot « magie ». Il y en a qui désignent telle ou telle pratique qu’on considère aujourd’hui comme « magique », le plus connu étant le seiðr, mais en réalité le seiðr est un ensemble de pratiques bien spécifique, et utiliser ce mot pour désigner tout ce qui est « magique » pose problème. Entres autres parce que le seiðr est considéré comme une source de dévirilisation (ergi), alors que d’autres pratiques magiques ne le sont pas. On trouve parfois le terme générique de fjölkynngi, qui signifie « beaucoup de connaissances » : c’est le meilleur équivalent qu’on ait pour « magie », mais il concerne TOUTES les connaissances, y compris celles qu’on considère comme « scientifiques » ou « techniques », par exemple l’Histoire, la géographie, la poésie, la généalogie, la rhétorique, le droit, la botanique, la médecine, l’astronomie, etc.
Dans la fantasy moderne, il y a une distinction entre l’Homme et la Nature, mais surtout entre d’un côté l’Homme et la Nature, et de l’autre le « surnaturel » qui est ce qui est concerné par la magie. La magie est ce qui vient, parfois, « en plus » de l’Homme et de la Nature. La Nature a un fonctionnement « naturel », « normal », quand il n’est pas « modifié » par des forces ou des entités « magiques ». La météo, par exemple, obéit à des lois physiques « naturelles », sauf quand un magicien jette un sort ou un dieu répond à une prière, et brise ces lois physiques naturelles pour changer la météo.

Au contraire, pour les Européens païens, les génies locaux et les Dieux sont constamment impliqués dans la météo, à chaque instant : chaque averse ou absence d’averse est le résultat direct de l’existence et de l’activité des génies et des Dieux. La magie n’est pas un système optionnel, « en plus », dont l’existence ou la non-existence ne change rien tant qu’un humain ne l’utilise pas… pas plus que les réactions chimiques n’existent que quand un chimiste mélange des produits dans un laboratoire (de nombreuses réactions chimiques se produisent dans notre corps à chaque instant et c’est ce qui nous permet de rester en vie).
Le dragon et le loup n’appartiennent pas à deux catégories de créatures distinctes, les créatures « magiques, surnaturelles » et les créatures « normales, naturelles ». Les deux sont des animaux. Les dragons sont simplement des serpents très gros et très puissants qu’on a la chance de n’avoir jamais croisé, tout comme il y a des loups très grands et très puissants (comme Fenrir), qu’on a la chance de ne jamais avoir croisés. Et si on ne connaît personne qui en ait croisé en-dehors des mythes et des très anciennes sagas avec des héros très puissants, c’est parce qu’ils sont heureusement plus rares, mais aussi et surtout parce que ceux qui les ont croisés sans être des héros très puissants ne sont plus là pour en parler.
J’arrête ici pour le moment, et je laisse les liens de deux articles qui m’ont motivé à écrire celui-ci, puisqu’il me trottait en tête depuis longtemps. Ils sont en anglais et concernant respectivement les auteurs de fantasy et les concepteurs de jeux de rôle, mais les réflexions qu’ils font sont souvent pertinentes.
http://starsbeetlesandfools.blogspot.com/2013/07/on-writing-magic-well-part-ii-adding.html
https://www.darkshire.net/jhkim/rpg/magic/antiscience.html
Des os et débats