On entend souvent, dans les milieux néopaïens, des appels à ne pas célébrer les anciens rites de la manière dont ils étaient célébrés avant leur interdiction. Les termes utilisés sont souvent polémiques voire très dévalorisants : sectarisme, passéisme, archaïsme, vieilleries, inutile, poussiéreux, rétrograde, carnavalesque, absurde, référence au fait de « singer » les anciens, etc. La question ne serait donc pas seulement celle d’une impossibilité pratique (par rapport à la connaissance que nous avons des anciens rites, ou par rapport aux moyens humains et financiers) ou légale (par rapport aux lois en vigueur) : il y aurait, semble t-il, des raisons qui feraient que la modification des rites serait désirable et que leur conservation serait un problème en elle-même.
Les arguments avancés sont divers, mais on peut les regrouper en quelques grandes catégories. D’une part, il y a ceux qui considèrent qu’il est nécessaire « d’améliorer » les rites, parce que les anciens rites seraient imparfaits et que nous aurions à la fois la capacité et le devoir de créer de meilleurs rites : on peut considérer cela comme une sorte de « progressisme rituel ». D’autre part, il y a ceux qui pensent que, même lorsqu’il est possible de pratiquer au plus près les anciens rites, il est forcément souhaitable de les modifier, parce que la société et les conditions de vie ont changé (on ne parle pas là d’impossibilité technique ou légale qui obligeraient à adapter la célébration des rites, mais bien d’une démarche volontaire et consciente d’altérer la célébration des rites, alors même qu’il aurait été possible de les altérer moins ou pas du tout) : on peut considérer cela comme une sorte « d’évolutionnisme rituel ».
Ces deux points de vue invoquent fréquemment une sorte de principe général selon lequel les religions païennes seraient, par essence, vouées à modifier constamment leurs rites. Après plus de 10 années de recherches dans les connaissances actuelles sur les différentes religions païennes indo-européennes connues (en particulier germano-scandinave, celtique, romaine, grecque, iranienne, et indienne, qui englobent l’essentiel des sources connues), je n’ai pas le souvenir d’avoir vu ne serait-ce qu’une seule fois le premier point de vue (« progressisme rituel »), et seulement assez rarement des choses qu’on peut interpréter comme allant dans le sens du second (« évolutionnisme rituel »), et encore sans que ce ne soit forcément évident.
Le plus souvent, dans les diverses sources anciennes et écoles philosophiques païennes, on trouve des positions qu’on peut grouper grossièrement en deux catégories (ce classement est plus grossier que l’autre, parce que comme on trouve là la grande majorité des positions exprimées par des penseurs païens, et donc qu’il y a de nombreuses petites subtilités). La première affirme que les formes rituelles nouvelles sont tendanciellement inférieures aux formes rituelles plus antiques, et qu’il est préférable autant que possible de maintenir voire restaurer ces formes antiques (« traditionalisme rituel »). La deuxième est qu’il est possible que certaines formes nouvelles soient aussi aussi valides que les formes anciennes – mais cette possibilité ne signifie pas que toutes les formes nouvelles le soient, et donc qu’il vaut généralement mieux, dans le doute, limiter les changements (« conservatisme rituel »).
Ni le traditionalisme rituel, ni le conservatisme rituel, ne sont donc « antipaïens » ou « monothéistes ». Ce sont des positions qui étaient majoritaires dans les religions païennes européennes avant la christianisation, et elles sont toujours très bien représentées aujourd’hui dans les religions indo-européennes dont la tradition n’a as été interrompue (zoroastrisme, hindouïsme, bouddhisme). Dans l’hindouïsme, par exemple, certains rituels et éléments de rituels se sont transmis depuis plusieurs millénaires et sont toujours utilisés aujourd’hui, sans modifier les phrases utilisées alors même que le sanskrit a cessé d’être utilisé comme langue du quotidien. Même les groupes religieux qui ne les ont pas conservés les respectent, pour la plupart, comme des trésors vivants dont ils se réjouissent de la survie – bien que la question des sacrifices animaux soit parfois un sujet houleux.

Un vieux commentaire (2018) de Curwen Ares Rolinson de l’Arya Akasha Institute (https://aryaakasha.com), sur le sujet qui nous intéresse ici :
« Il y a en fait un dilemme assez intéressant ici :
Nous considérons souvent comme acquis que certaines choses ont dû être modifiées afin de se conformer au paradigme métaphysique de « l’époque actuelle ». Oui, je fais référence à ces gens qui disent « nous vivons au XXIe siècle ! » comme si c’était un argument joker permettant de prouver tout et n’importe quoi.
L’exemple qui vient immédiatement à l’esprit est celui du sacrifice d’animaux au cours d’un rituel – nous savons que ces choses étaient pratiquées auparavant. Et la question de savoir s’ils doivent encore l’être fait l’objet d’un débat, pour des raisons qui ont été évoquées à plusieurs reprises dans des discussions antérieures.
Là où je veux en venir, c’est qu’il n’est pas nécessairement exact de dire que telle ou telle pratique de l’hindouisme *ne peut pas* et *ne doit pas* changer au fil du temps. En effet, il existe de très bonnes raisons pour lesquelles certaines pratiques ont évolué par rapport aux époques précédentes. Mais ce qui importe dans ces cas-là, ce sont deux choses :
* d’abord et avant tout, POURQUOI les choses ont changé. Parce qu’elles sont « pratiques » pour certaines personnes ? Ou parce qu’il existe une base religieuse bien fondée (souvent TRES contraignante !) qui a CONTRAINT laquelle les choses à changer. Pour revenir à mon exemple sur les sacrifices animaux, les nouvelles conditions de notre époque, à cause de la perte de connaissances sacrées, signifient que nous ne pouvons pas être certains que la souillure du sacrificateur et la douleur de l’animal puissent être compensées par les méthodes purification et les conséquences positives du rituel. Comme nous n’avons pas le pouvoir de ramener l’animal à la vie, il peut être plus sage de s’abstenir de le sacrifier, et de modifier le rituel pour y trouver un substitut rituellement valide [précisément PARCE QUE la connaissance sacrée EXACTE et ANTIQUE a été diversement altérée par les millénaires, et pas parce que la connaissance sacrée exacte et antique n’aurait que peu d’importance].
* ensuite, il s’agit de savoir si la « vraie lumière » de la tradition (dharma), de l’ordre cosmique (Rta), brille toujours *malgré* la modification de la pratique. Autrement dit, si l’Éternel reste toujours bien présent et visible, même dans le « temporel » et ses permutations, qui doivent rester centrées sur le Sacré, l’Ancien, le Vrai. »
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