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Existe-t-il une philosophie politique dans la tradition néo-platonicienne ? (par Daria Dugina)

Note : par ce court article a été écrit par Darya Platonova Dugina, dont le mémoire d’Histoire de la philosophie (soutenu à l’université de Moscou après un stage à l’université Montaigne de Bordeaux) était consacré au néoplatonisme tardif, courant philosophique qui a été le plus influent dans les milieux païens de la fin de l’empire romain. Il est publié ici pour les pistes qu’il offre en matière de réflexion philosophique païenne contemporaine, bien plus que pour l’actualité récente impliquant le décès de son autrice.

Source: https://www.ideeazione.com/esiste-una-filosofia-politica-nella-tradizione-neoplatonica (traduit de l’italien par Robert Steuckers)

« Car l’État est l’homme en grand format et l’homme est l’État en petit format ».

F. Nietzsche

Friedrich Nietzsche, dans ses conférences sur la philosophie grecque, a qualifié Platon de révolutionnaire radical. Platon, dans l’interprétation de Nietzsche, est celui qui dépasse la notion grecque classique du citoyen idéal: le philosophe de Platon se place au-dessus de la religiosité, contemplant directement l’idée du Bien, contrairement aux deux autres catégories (guerriers et artisans).

Cela fait plutôt écho au modèle de théologie platonique du néo-platonicien Proclus, où les dieux occupent la position la plus basse dans la hiérarchie du monde. Rappelons que dans la systématisation de Festugière, la hiérarchie des mondes de Proclus comprend plusieurs niveaux d’émanations successives depuis le Bien, et que les dieux en contact avec nous font partie des niveaux les moins élevées dans la hiérarchie des Idées.

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Plotin place les formes idéales au-dessus des dieux. Les dieux ne sont que des contemplateurs de formes absolument idéales.

« Amené sur son rivage par la vague de l’esprit, s’élevant vers le monde spirituel sur la crête de la vague, on commence immédiatement à voir, sans comprendre comment ; mais la vue, s’approchant de la lumière, ne permet pas de discerner dans la lumière un objet qui n’est pas lumière. Non, alors seule la lumière elle-même est visible. L’objet accessible à la vue et la lumière qui permet de le voir n’existent pas séparément, tout comme l’esprit et l’objet-pensée n’existent pas séparément. Mais il y a la lumière pure elle-même, dont découlent ensuite ces opposés ».

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Le Dieu-Démiurge du Timée crée le monde selon les modèles du monde des idées, occupe une position intermédiaire entre le monde sensible et le monde intelligible – tout comme le philosophe, qui établit la justice dans l’État. Il s’agit d’un concept plutôt révolutionnaire pour la société grecque antique. Elle place une autre essence au-dessus des dieux, une pensée supra-religieuse et philosophique.

La République, dialogue de Platon, construit une philosophie psychologique et politique non classique. Les types d’âme sont comparés aux types de structure étatique, dont découlent différentes conceptions du bonheur. L’objectif de chaque personne, dirigeant et subordonné, est de construire un état juste et cohérent avec la hiérarchie ontologique du monde. C’est ce concept d’interprétation de la politique et de l’âme en tant que manifestation de l’axe ontologique que Proclus développe dans son commentaire des dialogues de Platon.

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S’il est facile de parler de la philosophie politique de Platon, il est beaucoup plus difficile de parler de la philosophie politique de la tradition néo-platonicienne. Le néo-platonisme était généralement perçu comme une métaphysique visant à la déification de l’homme (« l’assimilation à une divinité »), considérée séparément de la sphère politique. Toutefois, cette vision de la philosophie néo-platonicienne est incomplète. Le processus d' »assimilation à la divinité » de Proclus, qui découle de la fonction métaphysique du philosophe chez Platon, implique également l’inclusion du politique. La déification se produit également à travers la sphère politique. Dans le livre VII du dialogue intitulé République, dans le mythe de la caverne, Platon décrit un philosophe qui s’échappe du monde des lances et s’élève dans le monde des idées, pour ensuite retourner à nouveau dans la caverne. Ainsi, le processus de « ressemblance avec une divinité » va dans les deux sens : le philosophe tourne son regard vers les idées, dépasse le monde de l’illusion et s’élève au niveau de la contemplation des idées et, donc, de l’idée du Bien. Toutefois, ce processus ne s’achève pas avec la contemplation de l’idée du Bien comme étape finale – le philosophe retourne à la caverne.

Quelle est cette descente du philosophe, qui a atteint le niveau de la contemplation des idées, dans le monde mensonger des ombres, des copies, du devenir ? N’est-ce pas un sacrifice du philosophe-réalisateur pour le peuple, pour son peuple ? Cette descente a-t-elle une apologie ontologique ?

Georgia Murutsu, spécialiste de l’État chez Platon, suggère que la descente a un double sens (un appel à la lecture du platonisme par Schleiermacher) :

1) l’interprétation exotérique explique la descente dans la grotte par le fait que c’est la loi qui oblige le philosophe, qui a touché le Bien par le pouvoir de la contemplation, à rendre la justice dans l’État, à éclairer les citoyens (le philosophe se sacrifie pour le peuple) ;

2) Le sens exotérique de la descente du philosophe dans le monde inférieur (dans le domaine du devenir) correspond à celui du démiurge, reflétant l’émanation de l’esprit du monde.

Cette dernière interprétation est très répandue dans la tradition néo-platonicienne. Le rôle du philosophe est de traduire ce qu’il contemple de manière éidétique dans la vie sociale, les structures de l’État, les règles de la vie sociale, les normes de l’éducation (paideia). Dans le Timée, la création du monde est expliquée par le fait que le Bien (transsubstantiant « sa bonté ») partage son contenu avec le monde. De même, le philosophe qui contemple l’idée du Bien, en tant que ce Bien lui-même, répand la bonté sur le monde et, dans cet acte d’émanation, crée l’ordre et la justice dans l’âme et dans l’État.

« L’ascension et la contemplation des choses supérieures est l’ascension de l’âme dans le domaine de l’intelligible. Si vous admettez cela, vous comprendrez ma chère pensée – si vous aspirez bientôt à la connaître – et Dieu sait qu’elle est vraie. Voici ce que je vois : dans ce qui est perceptible, l’idée de bien est la limite et est à peine perceptible, mais dès qu’elle y est perceptible, il s’ensuit qu’elle est la cause de tout ce qui est juste et beau. Dans le domaine du visible, elle donne naissance à la lumière et à sa règle, mais dans le domaine du concevable, elle est elle-même la règle dont dépendent la vérité et la raison, et c’est vers elle que doivent se tourner ceux qui veulent agir consciemment dans la vie privée et publique ».

Il convient de noter que le retour, la descente dans la grotte, n’est pas un processus unique, mais un processus qui se répète constamment (royaume). C’est l’émanation infinie du Bien dans l’autre, de l’un dans le multiple. Et cette manifestation du Bien est définie par la création de lois, l’éducation des citoyens. C’est pourquoi, dans le mythe de la grotte, il est très important de mettre l’accent sur le moment où le souverain descend au fond de la grotte – la « cathode ». La vision des ombres après la contemplation de l’idée du Bien sera différente de leur perception par les prisonniers, qui sont restés toute leur vie dans l’horizon inférieur de la caverne (au niveau de l’ignorance).

L’idée que c’est la déification et la mission kénotique particulière du philosophe dans l’État de Platon, dans son interprétation néo-platonicienne, qui constitue le paradigme de la philosophie politique de Proclus et d’autres néo-platoniciens ultérieurs, a été exprimée pour la première fois par Dominic O’Meara. Il reconnaît l’existence d’un « point de vue conventionnel » dans la littérature critique sur le platonisme, selon lequel « les néo-platoniciens n’ont pas de philosophie politique », mais exprime sa conviction que cette position est erronée. Au lieu d’opposer l’idéal de la théosis, la théurgie et la philosophie politique, comme le font souvent les universitaires, il suggère que la « théosis » doit être interprétée politiquement.

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La clé de la philosophie implicite de la politique de Proclus est donc la « descente du philosophe », κάθοδος, sa descente, qui répète, d’une part, le geste démiurgique et, d’autre part, est le processus d’émanation de l’Élément, πρόοδος. Le philosophe descendant des hauteurs de la contemplation est la source des réformes juridiques, religieuses, historiques et politiques. Et ce qui lui donne une légitimité dans le domaine du Politique, c’est précisément la  » ressemblance avec la divinité « , la contemplation, le « lever » et le « retour » (ὲπιστροφή) qu’il effectue dans la phase précédente. Le philosophe, dont l’âme est devenue divine, reçoit la source de l’idéal politique de sa propre source et est obligé de porter cette connaissance et sa lumière au reste de l’humanité.

Le philosophe-roi chez les néo-platoniciens n’est pas spécifique au sexe. Une femme philosophe peut également se trouver dans cette position. O’Meara considère les figures hellénistiques tardives d’Hypatie, d’Asclepigenia, de Sosipatra, de Marcellus ou d’Edesia comme des prototypes de ces souverains philosophes loués par les néo-platoniciens. Sosipatra, porteuse du charisme théurgique, en tant que chef de l’école de Pergame, apparaît comme une telle reine. Son enseignement est un prototype de l’ascension de ses disciples sur l’échelle des vertus vers l’Unique.

Hypatie d’Alexandrie, reine de l’astronomie, présente une image similaire dans son école d’Alexandrie. Hypatie est également connue pour avoir donné aux dirigeants de la ville des conseils sur la meilleure façon de gouverner. Cette condescendance dans la caverne des gens du haut de la contemplation est ce qui lui a coûté sa mort tragique. Mais Platon lui-même – voyant l’exemple de l’exécution de Socrate – prévoyait clairement la possibilité d’une telle issue pour un philosophe qui était descendu dans le Politique. Il est intéressant de noter que les platoniciens chrétiens y ont vu un prototype de l’exécution tragique du Christ lui-même.

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Platon s’est préparé une descente similaire, en se lançant dans la création d’un État idéal pour le souverain de Syracuse, Dionysius, et en étant traîtreusement vendu comme esclave par le tyran adultère. L’image néo-platonicienne de la reine-philosophe, fondée sur l’égalité des femmes supposée dans la République de Platon, est une particularité dans l’idée générale du lien entre la théurgie et le domaine du Politique. Il est important pour nous que l’image de Platon de la montée/descente du philosophe de la caverne et de son retour à la caverne ait une interprétation étroitement parallèle dans le domaine du Politique et du Théurgique. Ce point est au cœur de la philosophie politique de Platon et ne pouvait être manqué et développé par les néo-platoniciens. Une autre question est que Proclus, se trouvant dans les conditions de la société chrétienne, n’a pas pu développer pleinement et ouvertement ce thème, ou alors ses traités purement politiques ne nous sont pas parvenus. L’exemple d’Hypatie montre que la mise en garde de Proclus n’était pas superflue. Cependant, en étant conscient que l’ascension/descension était initialement interprétée à la fois métaphysiquement, épistémologiquement et politiquement, nous pouvons considérer tout ce que Proclus a dit sur la théurgie dans une perspective politique. La déification de l’âme du contemplatif et du théurge fait de lui un véritable homme politique. La société peut l’accepter ou non. Ici, le destin de Socrate, les problèmes de Platon avec le tyran Dionysius, et la mort tragique du Christ, sur la croix duquel était écrit « INRI – Jésus le Nazaréen, roi des Juifs ». Il est le Roi qui est descendu du ciel et qui est monté au ciel pour les hommes. Dans le contexte du néo-platonisme païen de Proclus, cette idée d’un pouvoir politique véritablement légitime aurait dû être présente et construite sur exactement le même principe : seul celui qui est « descendu » a le droit de gouverner. Mais pour descendre, il faut d’abord monter. Par conséquent, la théurgie et le fait de « ressembler à une divinité », bien que n’étant pas des procédures politiques en soi, contiennent implicitement la politique et, de plus, la politique ne devient platoniquement légitime qu’à travers elles.

La « ressemblance avec une divinité » et la théurgie des néo-platoniciens contiennent en elles une dimension politique, qui s’incarne au maximum au moment de la « descente » du philosophe dans la caverne.

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Différencier « clairières néodruidiques » et « clans celtiques »

« Une clairière néodruidique est une institution moderne (datant de la fin du XVIIIe siècle) qui vise à procurer des initiations néodruidiques et à se retrouver entre personnes ayant reçues lesdites initiations, selon un mode de fonctionnement similaire à la franc-maçonnerie.

Un clan celtique est un groupe de personnes, liées par une fraternité de sang ou par une fraternité jurée, qui pratiquent au quotidien les traditions celtiques, en particulier en matière de rites et d’éthique. Cela se fait sur le modèle des institutions tribales celtiques, qui remontent à l’Antiquité et ont continué après la fin de l’institution druidique et par-delà la christianisation. C’est la forme qui est préférée par la majorité des païens celtiques reconstructionnistes aujourd’hui dans le monde, sauf peut-être chez les francophones.

Ceux qui optent pour une forme clanique considèrent en général que le titre de « druide » ne peut se porter qu’après vingt années de pratique et d’étude intensives des savoirs druidiques (lesquels sont pour la plupart à reconstituer), cette période devant mener à un apprentissage exhaustif, et ce uniquement par voie orale. Conclusion évidente : 99%, si ce n’est 99,99%, si ce n’est la totalité, des gens qui se donnent un tel titre ne remplissent pas ce critère.

Pour ce qui nous concerne, après dix années de lectures universitaires, de pratique régulière des rites, et d’échanges avec les néodruides francophones les plus pointus comme avec les reconstructionnistes gaéliques les plus sérieux, nous estimons que nous serions seulement tout juste en mesure de commencer à essayer de reconstituer le fameux corpus, qui serait à apprendre entièrement par coeur par le candidat au rang de druide.

Autant dire que ce n’est pas pour tout de suite, et possiblement pas pour notre génération – mais comme les structures claniques ont par essence une vocation transgénérationnelle, ce n’est pas un si gros problème. Notre génération pose les bases d’une communauté fonctionnelle, solidaire, et vivante. La génération suivante structurera cette communauté et verra en émerger des meneurs talentueux, dévoués et bien formés. La génération qui viendra encore après celle-ci aura le terrain prêt pour une éclosion complète et naturelle d’une institution druidique qui sera à la fois issue des plus anciennes et plus authentiques traditions, apte à exercer pleinement ses responsabilités dans les défis inouïs de son époque, et dédiée à bâtir un avenir pour les générations futures des siècles à venir. »

(communication du clan Beltan concernant le très intéressant projet « Paroles de druides« )

 

 

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Le Cycle de Mai – partie 1

Scène de quête du 1er Mai en Lorraine (Trimazo)

   Sur les terres de France, le Cycle de Mai s’ouvre dans la nuit qui mène au 1er Mai. Ce n’est pas sous le nom de Beltane qu’on le célèbre. On le nomme généralement, tout simplement, Le Mai. En Bretagne c’est plutôt Kala-Hañv, Moselle germanique Hexenaat, et Walpurgisnacht en Alsace.

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Interview d’identitaires amazoniens

 

Les réactions de ces indigènes d’Amazonie, face à ces images de l’Occident moderne, s’articulent autour de deux grands axes :

  1. Ce n’est pas notre coutume. On ne comprend pas (ou « on trouve ça triste », ou hilarant). Mais si c’est la vôtre, pourquoi pas.
  2. Ce n’est pas bien. Les plantes ont un esprit. Ca nous inquiète. On a remarqué des changements. Il faut plus chaud qu’avant.

Une réponse sort clairement de ce cadre, celle à la prestation de Maria Callas (cantatrice née en 27 before present, c’est-à-dire en l’an 1923 de l’ère chrétienne). Ils indiquent clairement ne pas comprendre, ne pas savoir comment réagir, mais être respectueux et touchés d’une manière inexprimable, parce que « il y  a quelque chose de sacré« . D’une manière assez intéressante, cela ne s’applique pas à Mickael Jackson (showman né en l’an 8 de l’Anthropocène, c’est-à-dire en l’an 1958 de l’ère chrétienne).

Le mot de la fin est également très éclairant.

« Est-ce que vous avez pas peur, en voyant ces images, d’être mangés par ce monde, engloutis par ce monde ?

– Bien sûr que nous sommez très inquiets. D’ailleurs, si on vous a permis de nous filmer, c’est pour que vous montriez aux Blancs qui nous sommes. On sent la pression de l’homme blanc qui monte tout autour de nous et de notre forêt. Que vous le vouliez ou non, nous résisterons, et nous nous battrons pour que vous ne souilliez pas notre terre. »

Encore une fois, Un Tiers Chemin ré-affirme sa position : tous les peuples indigènes de la planète sont objectivement alliés face à la mondialisation libérale qui menace la transmission de leur patrimoine écologique, de leur identité ethnique et de leur héritage culturel.

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La prophétie de Pádraig Mac Piarais

Et maintenant je parle, empli par mes visions,
Je parle à mon peuple, et je parle au nom de mon peuple aux
Maîtres de mon peuples :
Je dis à mon peuple qu’il est béni,
Qu’il est auguste malgré ses chaînes.
Qu’il est plus grand que ceux qui le tiennent
Et plus fort et plus pur,
Qu’il a cependant besoin de courage, et d’appeler le nom de son dieu,
Dieu qui ne pardonne pas, ce cher dieu qui aime le peuple
Pour lequel il est mort nu, endurant la honte.
Et je dis aux maîtres de mon peuple : attention,
Attention à ce qui vient, attention au peuple debout,
Qui saura prendre ce que vous ne donneriez pas.
Pensiez-vous qu’on peut conquérir le peuple, ou que la loi est plus forte que la vie,
Et que le désir des hommes d’être libres ?
Nous verrons cela avec vous, vous qui avez saccagé et oppressé,
Vous qui avez persécuté et corrompu.
Tyrans… hypocrites… menteurs !

– The Rebel (Patrick Pearse, 1879-1916)

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Parick Pearse, de père anglais et de mère irlandaise, est né et mort dans la ville de Dublin. Entre temps, poussé par ses livres qui lui parlaient des héros du passé, tels que Cúchulainn à la gloire immortelle, il était allé apprendre le gaélique chez sa grande-tante du comté de Meath. Convaincu que l’âme irlandaise pouvait et devait renaître, il s’engage dans l’éducation, fondant une école où la jeunesse apprend sa langue, son Histoire, et les hauts faits de ses Ancêtres, païens comme chrétiens. Profondément mystique, il considère les traditions et la liberté de son peuple comme un héritage spirituel d’une valeur absolue. Quant son école menace de faire faillite car les frais d’inscriptions sont trop bas, il refuse de les relever au-dessus des moyens de peuple et part aux Etats-Unis rencontrer des Irlandais émigrés ayant accumulé des fonds. Les flammes dans ses yeux et le scintillement de ses mots les convainquent de faire des dons suffisants pour remettre les comptes à flots et le projet continue. Il sera entres autres l’inspirateur des écoles Diwan et Dihun, qui participent encore aujourd’hui à la transmission de la langue bretonne.

La grande guerre civile européenne de 1914 sert de prétexte à la suspension d’un projet de loi d’autonomie, voté par les réformistes. Des milices favorables à la domination anglaise se forment, surtout en Irlande du Nord (centre de peuplement des colons britanniques). Pearse rejoint l’Irish Republican Brotherhood, une société secrète ayant pour but d’organiser un soulèvement général. Ils font jonction avec l’Irish Citizen Army, groupe d’autodéfense des syndicalistes irlandais refusant d’aller mourir contre les prolétaires allemands. Ensemble, ils préparent une révolution socialiste à l’échelle nationale en faveur d’une Irlande « pas seulement libre mais gaélique aussi, pas seulement gaélique mais libre aussi ». C’est la naissance de l’Irish Republican Army (IRA).

Foggy dew

En 1916, un accord est négocié avec l’Empire Allemand pour obtenir des armes. Le soulèvement général est prévu pour le lundi de Pâques. Malheureusement, la cargaison est intercepté par la marine anglaise ; mais Pearse maintient le cap coûte que coûte. Il sera le président d’une éphémère république de six jours, assiégée dans Dublin par l’armée anglaise. Au dernier moment, pour éviter le massacre général, il donne l’ordre de capituler. Seize meneurs sont condamnés à mort, dont lui-même. Fusillé à l’âge de 36 ans, il écrit de touchants adieux à sa mère, lui demandant de garder le souvenir de son courage et de rester fière de ses actes. Un an plus tôt, sur la tombe d’un camarade, il avait dit : « Nos ennemis sont forts, sages, et rusés ; mais, aussi forts, sages et rusés qu’ils soient, ils ne peuvent empêcher le divin miracle qui fait germer, dans les coeurs des jeunes gens, les graines semées par les jeunes gens d’une génération précédente ». Dès 1919, son sacrifice permettra d’éveiller les Irlandais, qui se lancent dans une guérilla active menée par l’IRA. En deux ans, ils décrochent un traité permettant d’établir un Etat irlandais effectif. La République d’Irlande naît en 1922, seulement six années après cette république de six jours, qualifiée de folie par les hommes de son temps. La chanson The Foggy Dew fut composée en son honneur.

Gloire à toi, Pádraig mac Piarais, pour ta folie bénie, toi qui goûtes à présent les pommes d’or du Tír na nÓg, terre de l’éternelle jeunesse, aux côtés de Cúchulainn et de tous les héros et dieux des Celtes.

Yec’hed mat, Padrig, e Tir ar re Yaouank !

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Rite des étudiants à Minerve Pallas

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Dans le calendrier religieux de la Rome antique, le 19 mars marquait le début du festival des Quinquatries Majeures (un jour à l’origine, étendu à cinq jours ensuite). C’était la naissance de Minerve, déesse de la sagesse, des techniques, et de la stratégie. Elle était honorée en ce jour par les étudiants, les professeurs, et les médecins.

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Aujourd’hui, elle patronne encore l’Institut de France, qui n’est rien moins que l’entité regroupant l’Académie Française, l’Académie des Sciences, l’Académie des Beaux-Arts, l’Académie des inscriptions et Belles-Lettres (Histoire et archéologie), et l’Académie des sciences morales et politiques.

En tant qu’étudiant français, dans un système éducatif issu des écoles et universités romaines, il semble logique de rendre cet hommage à Minerve Pallas (son aspect de jeune fille). Ne pratiquant jusqu’ici pas les rites gallo-romains, ceci est une proposition et un premier essai, qui semble selon mes vérifications ornithomantiques avoir été accepté comme valide (avec deux bâtonnets d’encens et une double offrande de vin en expiation supplémentaire). Le Mercure Gaulois, divinité favorite des Gallo-romains, messager des Dieux, interprète (et selon mon interprétation patron de la langue française) est honoré dans la préface, mais il s’agit-là d’un choix personnel. Si votre foyer suit le rite romain de manière courante, Vesta et/ou Janus font d’excellents choix.

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Préparation :
* L’officiant prend une douche (si possible un bain) pour se purifier juste avant le rituel. Il met les habits reflétant le mieux son statut social. Si le rite se passe hors du foyer, se laver les mains avec un peu d’eau, puis s’en asperger le front de quelques gouttelettes avec les doigts. Dans tous les cas, un récipient d’eau doit être à disposition de l’officiant pour la suite du rite.
* Les participants arrivent ensuite au lieu du rituel, ou, s’il a lieu dans un foyer, placent l’idole de Minerve sur l’autel. Cette idole peut être un olivier ou des branches d’olivier, une statuette, un dessin, etc.
* L’officiant allume ou fait allumer un feu, ou une bougie sur l’autel.

Préface :
* L’officiant couvre sa tête (capuche, chapeau, écharpe, pan de toge, etc). Chacun est tourné vers l’autel, derrière l’officiant, hommes tête nue, femmes tête couverte.
* L’officiant allume ensuite un bâton d’encens, ou ajoute de l’encens dans l’encensoir, disant : « MERCURE GAULOIS, EN T’OFFRANT CET ENCENS JE TE PRIE AVEC DE BONNES PRIÈRES, POUR QUE TU VEUILLES ÊTRE PROPICE À CE RITE ». Il est possible de réciter un des hymnes homériques à Hèrmès.
* Il verse du vin dans la patère : « MERCURE GAULOIS, COMME EN T’OFFRANT CET ENCENS DE BONNE PRIÈRES FURENT BIEN PRIÉES, POUR LA MÊME RAISON SOIS HONORÉ PAR CETTE LIBATION DE VIN ».
* L’officiant verse ensuite le contenu de la patère sur le feu, ou dans la terre, si c’est possible. Si elle est petite, il peut transférer son contenu dans un autre récipient pour pouvoir poursuivre le rite, et rendre le tout à la terre après le rite. On peut honorer d’autres entités pour la préface (Vesta, Janus, Lares, etc)

Précation :
* L’officiant se purifie à nouveau les mains. Il touche ensuite l’autel, ou tend la main vers l’idole s’il n’y a pas d’autel, disant : « MINERVE PALLAS, PARCE QU’IL EST OPPORTUN POUR LES ÉTUDIANTS DE T’OFFRIR DU VIN ET DES BISCUITS EN CETTE FÊTE SACRÉE DU PREMIER JOUR DES QUINQUATRIES MAJEURES, AFIN QUE LEURS ÉTUDES LEUR APPORTENT LA SAGESSE, POUR CETTE RAISON SOIS HONORÉE PAR CES OFFRANDES ».

Reddition :
* L’officiant verse du vin dans la patère, disant : « MINERVE PALLAS, SOIS HONORÉE PAR CETTE OFFRANDE, SOIS HONORÉE PAR CETTE LIBATION DE VIN ».
* L’officiant dépose ensuite sur l’autel les biscuits, disant : « MINERVE PALLAS, SOIS HONORÉE PAR CETTE OFFRANDE, SOIS HONORÉE PAR CETTE OBLATION DE BISCUITS ».
* Il est aussi possible de faire des offrandes à d’autres entités.
* Les offrandes qui sont destinées à être consumées, enfouies ou mises ce côté pour être déposées plus tard, le sont à ce moment-là.

Profanation :
* L’officiant touche de la main les offrandes restantes, pour que les humains puissent les manger.

Expiation :
* L’officiant allume un bâton d’encens, et dit, levant les mains vers le ciel : « DIEUX IMMORTELS, SI VOUS AVEZ ÉTÉ OFFENSÉS PAR DES ERREURS COMMISES DURANT CE RITE, RECEVEZ CET ENCENS EN EXPIATION DES ERREURS DES HUMAINS MORTELS ». On peut aussi offrir du vin ou des biscuits, par précaution.

Divination :
* L’officiant ou un augure s’assurent que le rite et l’expiation ont été suffisants. Cela peut se faire par diverses méthodes : soit par l’observation (changement météorologique type vent, pluie ou arc-en-ciel ; animaux, etc), soit par le hasard (dés, pile-ou-face, cartomancie, etc). Si besoin, nouvelle expiation.

Banquet :
* Les participants consomment les offrandes restantes, se portant mutuellement des toasts. L’officiant peut enlever son couvre-chef. Il est possible de porter des toasts à d’autres entités.

Selon la coutume, les étudiants offrent également un cadeau à leurs enseignants. J’ai aussi honoré le fondateur de mon école et le génie tutélaire de ma promotion.

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Merci à un mien ami pour les illustrations (que Minerve lui soit propice et lui accorde la sagesse pour parvenir à la victoire) ; et aux membres de l’association Pharia, consacrée aux spiritualités méditerrannéennes antiques, pour leurs lumières. Si votre héritage gallo-romain vous intéresse, le 18 juin aura lieu le premier pélerinage groupé à Mercure Dumiatis en son temple du Puy-de-Dôme.

[Ajout du 22/09/2020 : l’officiant est capite velato, c’est-à-dire tête couverte, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme. La preuve en est Eumachia, fille de Lucius Eumachius, prêtresse publique du culte impérial à Pompéi : la statue qui la présente explicitement dans ce rôle a la tête couverte.]

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Le sexe par le bon bout. Parlez vous l’Hargot ?

 

Derrière le discours promouvant la fin de la norme se cache en fait un « conformisme affligeant ». « En passant d’un extrême à l’autre, on n’a seulement changé la perspective. » En réalité, la société véhicule toujours un rapport normatif à la sexualité : il faut jouir, il faut multiplier les expériences sexuelles, il faut se mettre en couple, il faut choisir son orientation sexuelle et l’afficher…

Au-delà de cette multitude d’injonctions angoissantes, le discours hygiéniste sur la sexualité, qui a succédé au discours moralisateur, s’avère être un échec cuisant. « Sortez couverts », nous a-t-on rabâché. Les « années sida » ont ainsi donné place à une conception uniquement technique de la sexualité, empreinte d’une culture du danger. Sauf que cela ne marche pas. La sexologue est bien placée pour le savoir. Cela ne suffit pas à des adolescents qui n’ont qu’une envie : transgresser les règles.

On a tout fait pour éviter les questions existentielles qui sont pourtant au cœur de la sexualité, relève-t-elle tout au long de son livre. La « mentalité du tout pilule », à laquelle Thérèse Hargot consacre un chapitre, en est la preuve. Cette  « nouvelle technologie » a neutralisé tout savoir sur le corps et la fécondité. Elle a finalement conduit à un contrôle de la sexualité féminine par l’industrie pharmaceutique. On a fait mieux en terme de libération de la femme.

Source : Le sexe par le bon bout. Parlez vous l’Hargot ?

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DNH #16 : Les vieilles marmites

Dans la génération des produits technologiques, le plus récent rend obsolète ce qui le précède : le vieux y est toujours un déchet. Dans la génération humaine, en principe, il en va autrementD’une part, le plus récent, c’est-à-dire le bébé, est le moins capable et le plus fragile, d’autre part, le vieux n’est pas périmé, bien au contraire : si l’on veut être un sage, bien vivre, ou simplement bien parler sa langue, il convient de solliciter les conseils des Anciens. Cette supériorité de l’ancien se rencontre du reste dans des objets intermédiaires entre les générations humaines et les générations de produits – des objets qui portent l’empreinte de l’histoire, la patine du patrimoine, et qui se dénichent en brocante ou dans le grenier de grand-mère. Ici, il est facile de reconnaître qu’un vieux meuble est plus beau, plus présent, quoique moins fonctionnel, qu’un meuble IKEA.   

Mais ce que j’appelle la réduction de la généalogie à la technologie nous le fait vite oublier. Elle aboutit à l’inversion du vulnérable et du vénérable – inversion qui se répercute dans le sens aujourd’hui renversé du mot « expérience ». Hier, il s’agissait d’avoir de l’expérience, ce qui supposait la reconnaissance d’un savoir lié au temps, à des contingences irréductibles à tout mode d’emploi. Aujourd’hui, il s’agit plutôt de faire des expériences, c’est-à-dire de toujours chercher du neuf, sans maturation, sans approfondissement possible. Pourquoi cette inversion ? Pour nous dissimuler la précarité sans précédent dans laquelle se trouve la jeunesse.

Car c’est bien la jeunesse qui est la plus vulnérable. Là où le vieux a traversé les épreuves de la vie, et, s’il est arrière-grand-père, été fécond, le jeune doit encore « faire ses preuves » : on se demande ce qu’il va devenir, on redoute que le mal ne le fauche dans sa fleur. Cicéron va jusqu’à souligner que ce ne sont pas les vieillards, au fond, qui sont les plus exposés à la violence de la mort, mais les jeunes gens : « La mort d’un adolescent me donne l’impression d’une flamme vigoureuse étouffée sous des flots d’eau, tandis que celle des vieux m’apparaît comme la lente consomption d’un feu qui s’éteint de lui-même, sans violence. » Mais comme les adolescents sont désormais dans l’angoisse extrême de ne pas s’insérer dans un monde de concurrence et de consommation, et, même s’ils y arrivent, de n’y trouver que la frénésie du vide, on les console en leur faisant croire que la jeunesse est une valeur absolue, et l’on y croit à son tour, puisque la sagesse antique ne peut que pâlir devant la science innovante.

L’adolescent est devenu le chef de famille : c’est lui qui montre aux vieux schnocks le fonctionnement du dernier gadget. Mais cette hauteur ne lui confère aucune autorité vivante, et finit même par le condamner à ne jamais être mûr. Sans vieillard pour lui conter l’existence, il ne lui reste que l’esclavage sur le marché des machines. 

Source : DNH #16 : Les vieilles marmites

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Que dire à un jeune de 20 ans (Hélie de Saint-Marc)

Que dire à un jeune de vingt ans ?

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Quand on a connu tout et le contraire de tout,
quand on a beaucoup vécu et qu’on est au soir de sa vie,
on est tenté de ne rien lui dire,
sachant qu’à chaque génération suffit sa peine,
sachant aussi que la recherche,
le doute, les remises en cause
font partie de la noblesse de l’existence.

Pourtant, je ne veux pas me dérober,
et à ce jeune interlocuteur, je répondrai ceci,
en me souvenant de ce qu’écrivait un auteur contemporain :

«Il ne faut pas s’installer dans sa vérité
et vouloir l’asséner comme une certitude,
mais savoir l’offrir en tremblant comme un mystère».

A mon jeune interlocuteur,
je dirai donc que nous vivons une période difficile
où les bases de ce qu’on appelait la Morale
et qu’on appelle aujourd’hui l’Ethique,
sont remises constamment en cause,
en particulier dans les domaines du don de la vie,
de la manipulation de la vie,
de l’interruption de la vie.

Dans ces domaines,
de terribles questions nous attendent dans les décennies à venir.
Oui, nous vivons une période difficile
où l’individualisme systématique,
le profit à n’importe quel prix,
le matérialisme,
l’emportent sur les forces de l’esprit.

Oui, nous vivons une période difficile
où il est toujours question de droit et jamais de devoir
et où la responsabilité qui est l’once de tout destin,
tend à être occultée.

Mais je dirai à mon jeune interlocuteur que malgré tout cela,
il faut croire à la grandeur de l’aventure humaine.
Il faut savoir,
jusqu’au dernier jour,
jusqu’à la dernière heure,
rouler son propre rocher.

La vie est un combat
le métier d’homme est un rude métier.
Ceux qui vivent sont ceux qui se battent.

Il faut savoir
que rien n’est sûr,
que rien n’est facile,
que rien n’est donné,
que rien n’est gratuit.
Tout se conquiert, tout se mérite.
Si rien n’est sacrifié, rien n’est obtenu.

Je dirai à mon jeune interlocuteur
que pour ma très modeste part,
je crois que la vie est un don de Dieu
et qu’il faut savoir découvrir au-delà de ce qui apparaît comme l’absurdité du monde,
une signification à notre existence.

Je lui dirai
qu’il faut savoir trouver à travers les difficultés et les épreuves,
cette générosité,
cette noblesse,
cette miraculeuse et mystérieuse beauté éparse à travers le monde,
qu’il faut savoir découvrir ces étoiles,
qui nous guident où nous sommes plongés au plus profond de la nuit
et le tremblement sacré des choses invisibles.

Je lui dirai
que tout homme est une exception,
qu’il a sa propre dignité
et qu’il faut savoir respecter cette dignité.

Je lui dirai
qu’envers et contre tous
il faut croire à son pays et en son avenir.

Enfin, je lui dirai
que de toutes les vertus,
la plus importante, parce qu’elle est la motrice de toutes les autres
et qu’elle est nécessaire à l’exercice des autres,
de toutes les vertus,
la plus importante me paraît être le courage, les courages,
et surtout celui dont on ne parle pas
et qui consiste à être fidèle à ses rêves de jeunesse.

Et pratiquer ce courage,
ces courages,
c’est peut-être cela

«L’Honneur de Vivre»

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Génération Kali Yuga

Lu sur le site du Nouvel Obs’ : le témoignage édifiant d’une prof de la génération 68.

« Eleusie de Mortagne est enseignante dans un collège du nord de la France. Tout le week-end, alors que les attentats ont secoué Paris et tué au moins 129 personnes, elle a pensé à ce qu’elle dirait à ses élèves ce lundi matin. Comment faire face aux questions des enfants ?

Plus ça va, moins ça va. C’est comme ça que j’ai vécu mon week-end. À mesure que les minutes passaient, les tweets et les textos défilaient, je me suis demandé comment on allait réagir ce lundi matin au collège. Aux e-mails du rectorat, du ministère, de mon chef d’établissement se sont ajoutés ceux de mes collègues. Au total il y en a eu plus d’une dizaine. Le ton était le même partout : « On attaque par quel bout ? » Tout le monde semblait dans le potage, même nos référents institutionnels. Je dois dire que ça ne m’a pas rassurée. […]

Et puis ce lundi matin est arrivé. J’avais très peur de la réaction des enfants, mais ça s’est bien passé. Beaucoup mieux qu’en janvier. Ce que je vais dire est terrifiant, et j’en ai conscience, mais j’ai le sentiment que ces ados de treize ou quatorze ans se sont habitués à ce climat post-attentats. […]

En revanche, pendant qu’un élève s’inquiétait que l’État islamique ne possède un jour la bombe atomique, d’autres se demandaient pourquoi on n’allait pas « leur péter la gueule » ? « Madame, en histoire [sic] on a vu l’armée rouge, on a vu la puissance de la Russie. Si on s’y met avec eux, avec les Anglais et les Américains, on les écrase en trois jours. » […]

J’ai essayé de répondre, dans la mesure du possible. Après, sur le fond des attentats, je n’en sais pas plus que tout le monde. […] Je suis enseignante certes, mais je suis aussi une maman de deux enfants, qui essaie de ne pas pleurer à l’idée qu’ils soient loin. Je suis une femme qui a la trouille et qui fait tout pour la tenir en bride.

Il ne faut pas se faire d’illusion. Ce n’est que la première journée. Nous mettrons bien plus de 24 heures pour gérer toute cette tension, prégnante chez les enfants mais surtout chez les enseignants. À treize ou quatorze ans, ils ont encore une part d’inconscience. Heureusement.

Nous, on le sent bien ce nuage noir au loin. Dans le collège, on a la gueule de bois. Aucun des adultes n’était préparé à devoir faire face à une telle situation. Quand les parents nous regardent et nous traitent en êtres infaillibles, parfaits, je me dis que j’ai grandi, tout comme eux, dans un pays en paix. Et que rien ne nous a préparés à réagir à un tel drame, tout profs que nous sommes. »

Ephèbe désignant les armes, vase attique du Ve siècle av. JC

Éphèbe désignant ses armes, vase attique du Ve siècle av. JC

La génération née après 1945 restera dans les annales pour avoir été la première à croire en une Pax Europaea sans fin. Son héritière directe, la génération post-68, comme la dernière à avoir pris ce fantasme pour une réalité.

Générations du Progrès qui entrez à présent dans le passé, nous vous rendons les honneurs funèbres qui vous sont dus, conformément à l’Antique Coutume. Pour nous avoir engendré, et nous avoir illustré avec brio cette maxime : si vis pacem, para bellum.

Ce « nuage noir au loin » vous chagrine comme des retraités cuvant leur ultime gueule de bois dans une chaise longue, et qui auraient voulu profiter encore un peu des derniers rayons du crépuscule. Mais pour nous, c’est le visage de l’avenir. Voilà pourquoi nous l’accueillons, tout naturellement, avec ce sang-froid que nous prenez pour de l’insouciance. L’insouciance, c’était votre vertu cardinale. La nôtre sera le stoïcisme.

Car nous sommes la génération Kali Yuga ; et, tournant le dos aux lueurs rouge-rose de l’occident, nous savons que c’est seulement par un long voyage au bout de la nuit que nous atteindrons notre aube dorée.

« Madame, en Histoire on a vu l’armée rouge, on a vu la puissance de la Russie. Si on s’y met avec eux, avec les Anglais et les Américains, on les écrase en trois jours. » Pense-bête pour l’avenir : veiller à ne jamais guérir de sa jeunesse.

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