La mode du celto-négationnisme

Il est devenu fréquent la paganosphère de lire des articles expliquant que les Celtes n’existent pas, que le peuple Gaulois n’a jamais existé, et que ceux qui prétendent le contraire cherchent forcément à justifier des politiques de haine raciale. Souvent (mais pas toujours, heureusement), sous prétexte de tirer des choses au clair, l’auteur embrouille, volontairement ou non, encore un peu plus l’affaire. Et la plupart du temps, hélas, les esprits sont très échaudés par le sujet, annihilant toute possibilité de débat serein. Récemment, j’ai assisté à un échange houleux, et fait remarquer que je désapprouvais le contenu d’un article, mais que cela n’enlevait rien à l’estime que j’avais pour son auteur et son blog (qui est, je n’en démords pas, un des meilleurs blogs francophones pour ce qui touche au paganisme celtique). Première réaction du premier passant : invitation à détailler mes arguments sur-le-champ, pour avoir eu l’outrecuidance de signaler que je n’étais pas du même avis. Alors que, précisémment, je mettais en avant la courtoisie avant toute chose, quelque désaccords qu’il puisse y avoir. Preuve s’il en faut que le sujet est particulièrement miné.

Or, sur Un Tiers Chemin, la règle est d’éviter le syndrome de la barricade à deux côtés. Le Chat Poron tente donc une analyse posée de l’affaire.

1. Celtes, Gaulois : c’est quoi ?

Les Celtes (Keltoi) sont, pour les auteurs gréco-romains de l’Antiquité, des peuples parlant une famille de langues indo-européennes dites celtiques. Archéologiquement, on a plus tard défini les cultures de Hallstatt, puis de La Tène, comme « celtiques », car rattachées à des populations probablement celtophones. On observe, parmi ces populations celtophones, un certain nombre de traits culturels et d’institutions communes : une classe intellectuelle et sacerdotale, dite des « druides », régissant le culte d’un certain nombre de divinités se retrouvant sur une plage de temps et d’espace étendue ; et une aristocratie guerrière, résidant dans des lieux fortifiés dits oppida par les auteurs latins. Enfin, une classe sociale d’artisans produisait pour ces classes des objets ouvragés où on retrouve de fortes ressemblances stylistiques (motifs géométriques, entrelacs, triskèles, rouelles, etc).

Parmi  ces Celtes, certains sont nommés Gaulois (Galli) par les Romains. Ils semblent avoir occupé des territoires compris entre le nord de l’Italie et la pointe armoricaine. Les quelques inscriptions retrouvées, la toponymie, l’anthroponymie, montrent la présence d’une aire linguistique commune, au moins dans la Gallia celtica. La Gaule belgique (plus étendue que la Belgique actuelle) et surtout la Gaule aquitaine, semblent avoir eu des différences linguistiques et identitaires importantes. César nous parle également d’une réunion des druides gaulois en un lieu donné, ce qui constitue une institution commune (il n’est pas précisé Aquitains et les Belges y participent : sans doute pas pour les premiers, peut-être pour les seconds).

peuples_gaulois

Ier siècle av. J-C. Les peuples armoricains, avant les migrations bretonnes ultérieures, pourraient n’avoir été qu’une ligue de peuples de la Gaule celtique, mais en fort contact avec les Bretons.

2. Qu’est-ce qu’un peuple ?

Parce que, oui, finalement c’est toute la question. Si je prends le dictionnaire de l’Académie française et le Littré en ligne, j’ai :

A. Ensemble des humains vivant en société sur un territoire déterminé et qui, ayant parfois une communauté d’origine, présentent une homogénéité relative de civilisation et sont liés par un certain nombre de coutumes et d’institutions communes.

B. Partie de la nation soumise à une autorité ayant le pouvoir politique.

Le sens A étant dominant dans les pays non-latins, le sens B dans les pays ayant été les plus influencés culturellement par l’impérialisme romain. Si on est dans un contexte celtique, le sens A semble donc bien plus logique à prendre en compte.

3. Ni les Celtes, ni les Gaulois, n’ont jamais eu d’unité politique ?

Certes. Ceci étant, je n’ai toujours pas compris pourquoi le sujet était systématiquement remis sur la table, alors qu’il n’avait pas de rapport avec la question principale (comme on a pu le voir plus haut), et surtout que je n’ai jamais entendu personne me soutenir le contraire.

Quoi qu’il en soit, la fameuse « incapacité des Gaulois à former des structures politiques larges et stables » (c’est-à-dire que leur notion de peuple est le sens A) a pour revers de la médaille que la communauté politique de référence était bien le peuple, et donc… un conglomérat de lignées sur une base ethnique. On ne devenait pas plus Arverne ou Vénète qu’un teckel devient un caniche. De la même manière d’ailleurs que les cités grecques farouchement indépendantes qui, ne formant qu’occasionnellement des ligues, associaient la citoyenneté à l’origine ethnique (le plus souvent « pure » des deux côtés). Qu’elles soient démocrates ou non, et peut-être plus encore quand elles l’étaient, car cela ouvrait la possibilité d’influer sur le gouvernement de la cité, et devait donc être encore plus précautionneusement surveillé.

Bref, l’absence de méta-structure politique commune ne signe pas l’absence d’un peuple, comme nous le montrent très bien le peuple grec ou le peuple touareg. Définir un peuple par une structure politique étant, on le rappelle, une caractéristique de certains nationalismes européens modernes qui n’ont pas que des bonnes choses au compteur.

4. Les langues celtiques insulaires et continentales forment deux branches séparées ?

Difficile à dire. Bien qu’on puisse observer des convergences grammaticales dans les langues celtiques des Îles Britanniques,  les traces épigraphiques de vieux britonnique et de gaulois sont quasiment identiques (cf. inscription de Bath, par exemple). Des textes antiques signalent aussi une intercompréhension entre les Britons aux Gaulois : la chose n’est pas étonnante, car l’archéologie montre aussi, du néolithique à la période romaine en passant par l’âge du bronze, d’intenses échanges et des similitudes culturelles en de la Manche. A l’époque de la conquête romaine, les Atrébates avaient des terres à la fois sur le continent et en Bretagne. On trouve aussi des « Vénètes »  (Uenetis / Gwynedd) des deux côtés, mais la chose est plus controversée puisque c’est aussi le cas à Venise, en Gaule cisalpine.

Du coup, la « ligne de fracture » des langues celtiques serait plutôt entre l’Irlande et le reste. Une partie du peuplement irlandais semblant s’être fait depuis la péninsule ibérique, on retrouve sans surprise quelques similitudes entre les fragments celtibères et les langues gaéliques (maintient du kw proto-indo-européen en q, là où il devient généralement p ailleurs). Vous me direz que, peu importe où on met la ligne, tout ça reste divisé et prouve l’absence d’unité. Certes, mais d’une part il me semble important de ne pas colporter des vérités partielles sur un sujet déjà mal compris ; d’autre part, il n’en reste pas moins que nos deux sous-groupes de langues celtiques sont nettement plus apparentés entre eux qu’avec n’importe quelles autres langues.

5. En tout cas, ces histoires de peuple celtique, peuple gaulois, c’est raciste !

« Peuple gaulois », mythe ou réalité ? Penchons-nous un peu sur l’Histoire de cette idée. Sa première trace remonte au Ier siècle avant notre ère, sous la plume d’un certain Caius Iulius Caesar, dangereux crypto-néonazi bien connu des services de police : « Galli se omnes ab Dite Patre prognatos praediquant, idque ab druidibus proditum dicunt ». Les Gaulois se disent tous descendants de Dis Pater [divinité romaine associée à Pluton], d’après une tradition qu’ils disent tenir des druides. Bon, déjà, c’est un peu gênant : si je décide de suivre ce qu’on connaît de l’enseignement druidique, bingo, j’adhère à la notion de peuple celtique défini sur une base de parenté génétique. Mais comme on est dans un débat scientifique sérieux, creusons un peu l’affaire et voyons ce qu’en dit la génétique des  populations. Comme le chromosome Y se transmet de père en fils de manière inchangée, sauf mutations de manière exceptionnelle, il est assez facile de voir si ces druides atteints de peste brune avant l’heure nous racontent des bobards à propos d’un père des Gaulois.

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Fréquence de l’haplogroupe Y R1b

 

Et là, on est pas loin de la catastrophe. Rendez-vous compte : la majorité des habitants actuels des territoires correspondant aux trois provinces de la Gaule romaine descendent d’un ancêtre paternel commun (et c’est même visible après les quelques installation romaines et germaniques, et même la fameuse implantation des Sarrasins en Languedoc dont on ne voit pas trace, soit qu’ils n’aient pas été si nombreux, soit qu’ils aient subi un sort tragique contraire à la morale chrétienne). Pire encore, il y a tout de même un certain recoupement avec la carte des populations dites de « culture celtique » (surtout si on prend en compte le fait que les Scandinaves étaient friands des esclaves celtes, en particulier en Islande).

Langues celtiques

Jaune = Halstatt/La Tène, vert clair = extension maximale des langues celtiques, vert foncé = zones celtophones contemporaines

Du coup, il serait facile de se laisser aller à s’exclamer, comme quelqu’un me l’a déjà dit, que la réalité est fasciste. En gros, le celto-négationnisme pousse des gens dont l’identité est niée à se radicaliser (barricade à deux côtés, encore) et en fait donc des proies faciles pour les discours incitant  à la haine. Ce qui, je crois, est l’inverse de ce qui était espéré. Et qui, en tout cas, va fermement à l’encontre de ma conviction, qui fait aussi office de ligne éditoriale pour Un Tiers Chemin, que tous les peuples indigènes sont objectivement alliés face à la mondialisation libérale, qui menace leur patrimoine écologique, leur identité ethnique, et leur héritage culturel. Je ne hais pas les peuples différents du mien. Je combats fermement l’idéologie du Même qui veut détruire ce qui fait nos différences et la richesse de l’Humanité au pluriel, sous prétexte d’apporter une paix qui n’existe pas plus que les armes de destruction massive en Irak.

Ceci étant dit, il est un point qu’il faut aborder : la question basque. Nos chers amis ne parlent point de langue celtique, et il semble que ça ait été le cas d’une partie de l’lbérie et de la Gaule Aquitaine (la Gascogne étant une Vasconie de même origine linguistique que le Pays Basque). La question linguistique étant déjà traitée, un coup d’oeil à notre amie la génétique des pops :

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Sauvés, nos chers amis Basques et autres irrédentistes aquitains semblent bien former un pôle à part au niveau des liens de parenté, quoique proche des Gaulois.

Et quand à ces pourcentages en Turquie qui ne se confondent pas parfaitement avec la zone d’implantation galate ?

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Sous-groupe à part, semble t-il.

Bref, bisous à tous mes cousins et cousines descendants du Dis Pater (an Ankoù, Tad an Anken comme on dit chez moi). Et bisous aussi à tous nos sympathiques colocataires qui aiment notre patrimoine écologique commun et veulent le préserver avec nous. Evitez juste de faire irruption dans les réunions de famille en beuglant qu’on est pas apparentés, ce sera plus poli.

(dans un prochain épisode, toujours sous le coup de la sommation de se justifier, le Chat Poron vous expliquera pourquoi la majorité de vos ancêtres est forcément païenne, à part peut-être si vous appartenez à une lignée juive très préoccupée de pureté raciale, mais du coup l’agitation des goyim de la paganosophère vous passe sûrement bien au-dessus du chapeau, petit chanceux)

 

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7 réflexions sur “La mode du celto-négationnisme

  1. Wieslaw J

    Il est vrai que la gaule belge fut surtout germanique mais s’adaptant au celtisme en vigueur. Le nord de la france fut germanophone bien avant l’arrivé « officiel des germains. Quoi qu’il en soit les Celtes sont une réalités irréfutable et une source d’inspiration autant pour les germanique que pour d’autres peuples européens

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  2. Éternelle guerre comme essayer de définir le druidisme… 😉 Bien joué.

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  3. Plutôt : éternelle guerre des mots. Ou éternelle quête d’identité. Une lignée de mes ancêtres a quitté la Normandie. Selon la belle carte des tribus gaulois, est-ce que c’était des membres du tribu Lexovii ou bien des incidents Viking… ou bien un autre peuple? Le jeu entre le peuple et la culture est vaste et souple. Je crois qu’il faut retourner à la création des mythologies nationalistes européenne du 19e siècle pour trouver l’oublie du fait que les peuples et les cultures s’accôtoyaient comme des écosystèmes : sans frontières abruptes. Il faut penser plutôt aux zones d’adaptation.

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    • Le peuplement scandinave en Normandie semble en fait (à l’échelle de la région entière) de même ordre ou inférieure que le peuplement germanique continental par les Saxons et les Francs (de l’ordre de 20 à 30% au total). Au final, cela reste des populations majoritairement de type « celtique » génétiquement (marqueur R1b largement prédominant) avec des influences scandinaves (moins de 10% de I1), et ce d’autant plus que c’est aussi le cas des Francs et des Saxons.

      Ceci étant, on est d’accord sur la notion de gradient génétique et culturel, bien que la vitesse de transition puisse s’accélérer plus ou moins fortement sur certaines zones.

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  4. A reblogué ceci sur sylvaingrandcerf.

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  5. Merci pour ton article, et pour ces explications. Le sujet est très intéressant, mais il peut vite tourner au vinaigre (comme cela a été le cas dans le groupe où a eu lieu l’échange houleux que tu évoques), lorsque certains ne savent pas répondre autrement qu’en étant grossiers et/ou agressifs, et il devient alors impossible de débattre intelligemment…
    Je suis d’accord avec Sylvaingrandcerf quant à la « guerre des mots » : certains mots, comme « peuple », ont des significations différentes selon les personnes (c’est bien pour ça que j’évite de l’utiliser), selon les époques aussi (et à l’heure actuelle, je trouve qu’il est beaucoup trop utilisé, avec beaucoup trop de sens différents).
    Sinon, juste pour le clin d’oeil, la présence sarrasine n’a pas duré très longtemps, mais les traces qu’elle a laissées existent néanmoins 😉 https://hommesmigrations.revues.org/2837 (ça et un certain nombre de constructions et de toponymes dans le coin du monde où je vis)

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  6. Jean Bataille

    Sur l’absence d’unité politique des gaulois, il en allait de même pour les grecs

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