Une contribution d’Aranna, dont le blog regorge de réflexions tout à fait intéressantes sur le polythéisme européen contemporain : http://lacailleach.wordpress.com. Vous pouvez aussi jeter un oeil à son échoppe d’artisanat religieux. Un grand merci à elle, et le Chat Poron vous rappelle qu’Un Tiers Chemin est ouvert à toute contribution sur les arts, rites et savoirs traditionnels !
Petite plaisanterie pour commencer : Vous savez comment on fait manger de la cuisine anglaise à un français ? En lui racontant que c’est une recette médiévale… (En plus d’avoir usé de ce subterfuge des années durant – personne ne s’en est jamais plaint – en témoignent les livres de cuisine type « cuisine de G… Of…T… » que j’ai pu voir. C’est sans doute très amusant, mais je ne comprends pas trop ce besoin d’aller chercher midi à quatorze heure et de dépenser de l’argent dans un ouvrage en grande partie marketing alors qu’on trouve largement de quoi faire en cherchant dans les différentes traditions culinaires. Question de point de vue.)
Le Christmas pudding est une tradition anglaise qui, bien qu’en perte de vitesse depuis quelques années, est toujours très répandue. Quand j’étais petite fille, c’était toujours un grand moment, et probablement la seule pâtisserie que je la voyais faire puisque pour une raison mystérieuse, elle loupait systématiquement toutes les autres…
Début novembre, ma mère passait chez le boucher récupérer des morceaux bruts de gras de bœuf qu’elle faisait fondre dans une casserole, avant de le filtrer et de le mettre dans un bocal, en prévision du dimanche tant attendu où la préparation du Christmas Pudding allait vraiment commencer. Elle essayait généralement de le faire à un moment où nous n’étions pas dans les parages, craignant que si nous assistions à cette opération – qui n’est sans doute pas la partie la plus ragoûtante, il faut le dire – nous refusions d’en manger. (Je l’ai surprise une fois, et ça ne m’a jamais dissuadé.)
Certains font remonter l’origine de cette recette au XIVe siècle, mais elle date plus vraisemblablement du début du XVIIe avant d’être bannie par les Puritains (basiquement, tout ce qui était relatif à Noel a été plus ou moins banni, les Puritains trouvaient que tout cela sonnait beaucoup trop païen pour être honnête). Un mythe populaire veut que ce soit le roi George I qui réintroduisit le Christmas Pudding, demandant qu’il soit servi à sa table, lors de son premier Noël en tant que roi d’Angleterre, en 1714.
On le fait généralement le dernier (ou avant-dernier) dimanche avant le début de l’Avent, soit à la fin du mois de Novembre, puisqu’il doit en principe reposer au moins un mois. Ce dimanche est nommé, de manière informelle, le Stir Up Sunday. C’est un moment de réjouissance et il est préférable que toute la maisonnée soit réunie, puisque la tradition veut que chaque membre de la maison participe en remuant le mélange trois fois (dans le sens des aiguilles d’une montre ou pour les puristes, d’est en ouest, pour commémorer l’expédition des Rois Mages) avec une cuillère en bois. Pendant que l’on touille avec plus ou moins de difficultés (la pâte est vraiment dense, les plus petits auront sans doute besoin d’être guidés. Je garde le souvenir de la première fois que j’ai participé, et je me souviens avoir vraiment peiné à l’époque), on fait un vœu (et on le garde secret). Certaines sources disent qu’il faut faire douze tours, un pour chaque mois de l’année. Pourquoi pas…
Petite note sur les ingrédients et le matériel :
• Le « shortening » (graisse alimentaire solidifiée) se trouve également en version végétale (celle que j’utilise), ce qui a le mérite de rendre la recette accessible pour des végétariens. Il est important de veiller à sa qualité étant donné les produits que les grandes industries alimentaires utilisent (beaucoup de marques utilisent sans vergogne des OGM). On en trouve en ligne, mais il est souvent difficile de s’en procurer rapidement en France. L’ingrédient originel étant la graisse de bœuf. Je penser qu’on peut utiliser également du saindoux, mais je n’ai jamais eu l’occasion de goûter.
• Pour bien réussir un Christmas pudding, la qualité des fruits confits est primordiale. Si vous avez, comme bien d’entre nous, un budget limité, alors en faire un petit mais très savoureux, est sans doute préférable à un gâteau plus gros et gustativement moins intéressant.
• Dans les recettes françaises que j’ai pu consulter, on propose souvent de mettre du beurre (!). À vos risques et périls : ma mère, aussi bien que ma marraine, toutes deux grandes adeptes de ce gâteau, m’ont toujours dit que le beurre rancirait avec les longues heures de cuisson au bain-marie. Quelques sources consultées disent que cela contribue à le rendre vraiment lourd. Je serais curieuse d’avoir l’avis d’une personne l’ayant fait.
• Vous aurez besoin un grand moule à pudding ou un contenant (ni Graal, ni bocal) qui pourra faire office de. Comme un grand récipient de type « cul de poule » en terre, en verre, pourvu qu’il puisse résister aux changements de température.
Il faut que le bol soit assez grand vu la quantité (à adapter éventuellement), et qu’il ait un rebord pour y attacher le linge qui servira de « poignées ». Il est important qu’il reste un ou deux centimètres de marge et que le moule ne soit pas plein à ras bord.
• À l’instar de tous les gâteaux ancrés dans une tradition, il existe une multitude de variantes, chaque famille ayant sa recette. Certaines comportent des amandes, de la pomme hachée… Les ingrédients utilisés sont traditionnellement au nombre de treize, représentant le Christ et les Apôtres. Voici ces treize ingrédients : des raisins de Corinthe, des raisins Muscat, la graisse de bœuf, du sucre brun, la chapelure, des écorces de cédrat, de citron, d’orange, la farine, du quatre-épice, des œufs, du lait et du brandy.
À propos des charmes glissés dans le Pudding :
Il était courant de rajouter dans la pâte de menus objets censés représenter, pour son découvreur, la fortune de l’année à venir. La liste de ces charmes varient apparemment beaucoup suivant les sources, aussi je ne citerai que ceux évoqués par ma mère.
– La pièce d’argent symbolisait la richesse et la bonne fortune.
– Un bouton, trouvé par un homme célibataire, signifiait que celui ci le resterait pour l’année entière.
– Le dé à coudre, trouvé par une femme célibataire, signifiait la même chose. Il est parfois considéré comme un signe de disputes.
– L’anneau promettait un mariage dans l’année.
– On rajoutait parfois un morceau de charbon (!) ou un autre objet qui indiquait littéralement « la poisse intégrale. »
Il convient de garder à l’esprit que leur signification respective est corrélée à l’époque victorienne. Il est tout à fait possible d’en garder le sens tout en l’adaptant un peu. Ainsi, l’anneau ne sera pas forcément synonyme de mariage, mais de chance en amour et dans sa relation de couple si tel est le cas.
Faut-il ajouter un objet « porte-poisse » dans un gâteau de Noël ? Je sais que cette option à ses défenseurs, qui vous diront que cela reflète la réalité de la vie, et qu’il faut arrêter de vouloir toujours n’avoir que des signes de bonnes fortunes et faire fi des autres. C’est une vision.
Personnellement, je suis plus mesurée. Dans tous les cas, garder à l’esprit que Noël est parfois une période stressante pour certains (tensions dans les familles, nervosités, etc), considérer les événements de vie de chacune des personnes à votre table (au moins les plus récents et les plus sensibles) et réfléchir à la signification que vous allez donner à chacun de ces charmes est, à mon sens, une preuve de bon sens. Je préfère contribuer à créer de beaux souvenirs, et la tradition devrait engendrer une cohésion et un sentiment d’union, mais ceci n’est que mon humble avis et, encore heureux, chacun est libre de faire comme il l’entend.
Ces ajouts ne sont bien évidemment pas obligatoire. Si vous décidez de le faire, n’oubliez pas de les stériliser, de prendre des matériaux qui ne seront pas toxiques (pensez à la chaleur dégagée par la cuisson, notamment pour les pièces de monnaie…) et prévenez AVANT que l’on ne commence à manger le Pudding : personne ne souhaite se casser une dent sur un objet surprise.
Voici la recette que nous utilisons chez nous. Vous êtes bien entendu tout à fait libre et même encouragés à l’adapter à vos goûts, à votre histoire familiale, à vos symboles et à ce que vous trouvez chez vos fournisseurs préférés.
Si vous le faites pour la première fois et que vous n’êtes pas certain d’aimer, n’hésitez pas à diviser les quantités par deux (le pudding est vraiment gros, normalement, la recette propose d’en faire soit un gros, soit deux petits avec cette quantité).

« Christmas pudding » par James Pett (CC BY-SA 2.0 via Wikimedia Commons)
Ingrédients :
225 g de chapelure
225 g de farine
350 g de gras de bœuf ou de « shortening »
225g de sucre demerara (ou sucre de canne entier, pas la version raffinée colorée au caramel)
275 g de raisin de corinthe
275 g de raisin de Smyrne
(ou trois variétés différentes de raisins divisés en part de 225g /225g/100g. Comme il est parfois délicat de trouver trois variétés différentes, ma famille adaptait la recette suivant les proportions que j’ai donné plus haut)
225 g d’écorces confites d’orange et de citron (à remplacer ou à compléter par un mix de fruits confits au besoin)
1/5 c. à thé de 4 épices
1/5 c. à thé de noix de muscade
1 c. à thé de sel
4 œufs
150 ml de lait (végétal ou non)
1 verre à vin de brandy (soit 25 cl)
« Hard Sauce »
100g de beurre (ou de très très bonne margarine.)
50 g de sucre glace
2 – 3 c. à soupe de brandy
1/2 c. à thé de zeste de citron
Dans un grand bol, mélanger ensembles tous les ingrédients secs. Rajouter la graisse que l’on a préalablement fait fondre.
Dans un autre petit bol, battre les œufs, rajouter le lait et le brandy puis incorporer au mélange sec. Si on souhaite rajouter dans la pâte les petits objets, c’est maintenant.
Placer dans le bol à pudding qui sera utilisé pour la cuisson.
On va maintenant emballer le gâteau : on coupe une feuille de papier sulfurisé qui va recouvrir le moule et on l’attache en passant une ficelle autour du moule, juste sous la rainure et on serre très fort (vous aurez besoin d’une aide pour maintenir le nœud), un peu comme pour les confitures maison, quand on fixe la cellophane avec un élastique. Ensuite on prend un torchon ou une pièce de tissu (lin ou coton, non teint) et on refait la même chose sauf qu’on relève les coins du tissu pour les nouer et en faire des poignées. (Attention, c’est souvent très lourd : si les nœuds sont trop lâches, c’est un coup à se retrouver avec tout étalé par terre).
Le pudding doit maintenant reposer 12h à température ambiante pour que les arômes se développent.
Le lendemain, remplir une marmite qui doit pouvoir contenir le moule, mettre de l’eau à bouillir et faire cuire au bain-marie, l’eau doit arriver à peu près à 3-5 cm du haut du moule. On recouvre et on laisse cuire au moins 5 h (en fonction de la taille du moule, de la marmite, etc) tout en surveillant le niveau de l’eau dans la marmite.
Quand le pudding a cuit au moins 5h, on retire les « couvre-chef » utilisés pendant la cuisson et on en met des secs. Puis on le place dans un endroit frais et sec pendant au moins un mois.
Le 24 décembre (ce dessert se sert normalement le soir du réveillon), on le refait cuire pendant 2h, avant de le démouler.
Pour faire la « hard sauce » : prendre le beurre (ou la margarine) amolli à température ambiante et le battre avec le sucre glace jusqu’à l’obtention d’une mixture très légère. Ajouter le brandy et le zeste, rebattre un peu. Placer au réfrigérateur jusqu’au moment de servir.
On l’arrose généreusement de brandy (certains « nourrissent » le pudding de brandy en le lardant de coup de couteau et en versant une petite quantité d’alcool avant de le laisser reposer. De la sorte, il est « bourré de combustible » pour le jour J), on pose une petite branche de houx (censé représenter la Couronne d’Épines. En tant que païen on peut y voir bien d’autres choses, évidemment) sur le dessus (nous n’avons jamais placé la branche de houx, pour des raisons pratiques) et on le flambe. Les lumières doivent être éteintes, et le Christmas Pudding arrive sur la table auréolé de flammes bleues. Il est d’usage de garder le silence avant d’applaudir tandis que l’on rallume les lumières avant de le servir, accompagné de « hard sauce » ou / et de crème anglaise, l’important étant le contraste chaud-froid entre le gâteau et les sauces.
Le fait de flamber ce pudding et les flammes bleues sont parfois associées à la Passion du Christ, raison pour laquelle on observe normalement le silence. À un niveau païen, on peut y voir la mort et la renaissance du Soleil pendant les Douze Jours de Yule.
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